Le secteur de la petite enfance toujours en souffrance

L’UPPE, l’Union des professionnels de la petite enfance, vient se rappeler au bon souvenir des pouvoirs publics : malgré des audits à répétition, le constat de difficultés rencontrées depuis 15 ans, les règles qui régissent le secteur ne bougent pas… et sont « aberrantes ». Elle compte peser de tout son poids à la première réunion du Conseil calédonien de la famille, le 9 mars.

« En Australie ou en Nouvelle-Zélande, le prix réel d’une place en crèche peut atteindre 170 000 francs par mois mais les parents ne déboursent que 50% de ce tarif, le reste étant pris en charge par les pouvoirs publics », relate l’UPPE. Le système est, à peu de chose près, le même en Métropole avec un tarif moyen estimé à 140 000 francs. « Les parents payent selon leurs salaires et la collectivité est là à hauteur d’environ 66 % ».

En Nouvelle-Calédonie, un audit, commandé en 2015 par le gouvernement, avait établi ce prix de base à 110 000 francs par mois, exonération de charges comprises, 125 000 francs avec les charges. Ici, la moyenne des tarifs actuelle payée par les parents s’échelonne entre 60 000 et 95 000 francs, une montagne, et le reste est à la charge… des crèches.

Une première étude réalisée en 2013 avait déjà fait paraître que pour être à l’équilibre, les tarifs des établissements devaient augmenter de 24 %. Impossible pourtant : depuis 2013 justement, les crèches sont soumises à une réglementation économique dite de « liberté contrôlée » et 90 % des demandes de revalorisation faites au gouvernement sont refusées.

Dans le même temps, ajoutent les responsables de l’UPPE, les normes imposées sont importantes, les charges et le salaire minimum garanti augmentent. Au final, l’équation est donc simple et le mythe des crèches « qui se gavent » une idée éloignée de la réalité, nous dit Manuel Berthier, porte-parole de l’Union.

Manuel Berthier et Claudia Jeandot 

La main au porte-monnaie… pour tous ?

Dans ce contexte, dit-il, quatre crèches ont mis la clé sous la porte depuis 2013. Il n’y a eu quasiment aucune demande d’ouverture, le secteur étant peu attrayant et « les banques étant récalcitrantes à moins d’avoir les reins (très) solides ». Il n’y a pas non plus eu de créations de crèches d’entreprise « qui bénéficient pourtant d’aides à l’investissement à hauteur de 25% ».

Certaines crèches existantes « préfèrent se réorienter vers le public périscolaire » (centres aérés à partir de 3 ans), secteur plus aidé avec « 350 F par jour et par enfant, l’usufruit des locaux, la possibilité d’employer des moniteurs titulaires du Bafa et un tarif à 20 000 F la semaine ». Le compte, encore une fois, est vite fait.

Pour tenir, les autres établissements ne font « pas ou peu d’investissements, font eux-mêmes leurs travaux, ne renouvellent pas les jeux régulièrement, favorisent du mobilier d’occasion ou de grande surface plutôt que spécialisé ». Pour atteindre le taux d’encadrement requis (un adulte pour cinq bébés, un adulte pour neuf marcheurs), les gérants comblent les manques, « au lieu de se concentrer sur la gestion de l’établissement, le projet pédagogique ». Les crèches de la Croix-Rouge, de la Mutuelle des fonctionnaires et de la mairie de Nouméa (Tindu) qui fonctionnent différemment ne sont pas en reste, et loin de rouler sur l’or.

Selon l’UPPE, il n’est même pas envisageable de créer les 70 à 90 postes supplémentaires qu’il faudrait pour fonctionner « normalement » dans les 47 structures agréées que compte le territoire (50 en province Sud, 44 dans le Grand Nouméa). Et il n’est généralement pas possible d’espérer proposer aux parents « qui se saignent » des tarifs selon leurs rémunérations… Enfin, les rares aides accordées aux parents et aux structures sont insuffisantes pour pallier les problèmes existants.

Résultat collatéral, « les structures de l’agglomération hors Nouméa peinent à faire le plein… le coût étant trop élevé pour les familles. Elles se dirigent vers des crèches sauvages », sans qu’il n’y ait « aucune réglementation pour les assistantes maternelles à domicile comme en province Nord », explique Claudia Jeandot, vice président de l’UPPE.

Important, au même titre que l’école

Les professionnels se battent depuis 2006. Une nouvelle réglementation (celle qui s’applique actuellement date de 1961) avait été élaborée il y a quelques années, mais les élus avaient freiné la machine : l’idée était entendue, mais l’impact économique était trop important.

L’abattement fiscal établi par la suite est venu apporter un « souffle » aux établissements, mais il arrivera à échéance à la fin de l’année. À l’UPPE, on aimerait bien sûr que cette mesure soit reconduite, mais pas que. Ce qui est demandé c’est bien « l’établissement d’une véritable politique de la petite enfance, et ce, à l’échelle du territoire ».

Quelques pistes sont émises outre la préservation des exonérations : les aides journalières, l’aide aux repas, l’allocation logement, l’adaptation des aides de la Defe, Direction de l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle, à des « petits postes d’investissement »…

Tous ces points seront défendus à la première réunion du Conseil calédonien de la famille (CCF), le vendredi 9 mars, en espérant que le dossier soit jugé « prioritaire » pour 2018. « Nous avons reçu un écho favorable auprès du nouveau membre du gouvernement en charge du secteur (NDLR, Christopher Gyges). Mais le Conseil sera notre seul moyen de détourner la présidence du gouvernement qui jusqu’ici ne nous a pas compris ni suivis », conclut Claudia Jeandot.

Dans son combat, l’UPPE se heurte souvent à cette idée qu’un enfant peut être gardé à peu près partout, chez une connaissance, en groupe, parfois important, comme au bon vieux temps (le prix en plus). Selon Claudia Jeandot, les temps justement ont changé et « à l’heure où la jeunesse s’égare, nous sommes convaincus que, pour construire le destin commun, il faut une diversité sociale et une égalité dès le plus jeune âge et, surtout, que chaque petit enfant puisse accéder à un mode de garde réglementé ».


Et les assistantes maternelles ? 

En Nouvelle-Calédonie, seule la province Nord a établi une réglementation des structures sous la forme d’un agrément pour les assistantes maternelles qui peuvent accueillir jusqu’à quatre enfants. Mais selon l’UPPE, il y a une « vraie demande en province Sud et dans les Îles ». Reste qu’encore une fois, cela demande un suivi, un accompagnement, et de fait des moyens humains non négligeables pour les collectivités…

C.M.