Le retour du phosphate cristallise les passions en Polynésie

Fermée depuis un demi- siècle, la mine de phosphate pourrait reprendre du service sur le minuscule atoll de Makatea. Défenseurs de l’environnement et habitants appellent à manifester cette semaine à Papeete contre un projet d’exploitation porté par un investisseur australien et soutenu par les institutions polynésiennes. 

On croyait l’histoire du phosphate définitivement enterrée sur ce petit atoll du bout du monde. La SAS Avenir Makatea en a décidé autrement. Cette société à capitaux australiens compte relancer l’activité abandonnée il y a tout juste cinquante ans, en exploitant le phosphate résiduel de l’ancien gisement. Son PDG, l’homme d’affaires et spécialiste des mines de charbon Colin Randall, prévoit d’extraire 6,5 millions de tonnes de ce minerai et annonce des retombées économiques très conséquentes, soit près de 18 milliards CFP, dont 16 milliards pour la Polynésie française, en s’appuyant sur un prix de vente à 138 dollars US la tonne.

Les « bonnes nouvelles » ne s’arrêtent pas là. Selon son promoteur, ce projet phosphatier pourrait créer 75 emplois directs et 365 indirects sur cette île d’à peine 100 habitants, où l’activité économique se fait rare. Mais surtout, il promet de réhabiliter au fur et à mesure cette île volcanique dénaturée par la première exploitation. C’est d’ailleurs le premier argument que fait valoir Julien Maï, le maire délégué de Makatea, favorable au projet. « En cinquante ans, deux générations ont été sacrifiées. L’exploitation a laissé des trous béants sur lesquels on ne peut rien faire. En réhabilitant les terres des héritiers, ce nouveau projet nous offre une occasion unique de nous reconstruire », se réjouit l’édile, qui est lui-même propriétaire terrien.

« Un projet destructeur »

Son point de vue n’est pas partagé par tous les Polynésiens. Deux associations, Te rupe no Makatea et Fatu Fenua no Makatea, dénoncent l’opacité du projet. Les informations divergent notamment sur la durée de vie de l’exploitation, qui est tantôt de 16 ans, tantôt de 26. « Les études donnent l’impression d’avoir été faites à la va-vite », estime Sylvanna Nordman, la présidente de l’association Fatu Fenua no Makatea et habitante de Makatea. Peu professionnels également, le site Internet de la société (avenirmakatea.com) dont les caractères illisibles rendent difficile la lecture ou encore l’adresse e-mail de la SAS (bernadette@ avenirmakatea.com) à laquelle nous avons adressé nos questions, restées sans réponses. « C’est un projet destructeur, qui nous rappelle celui de Nauru », s’inquiète Sylvanna Nordman (lire ci-contre).

Scientifiques et défenseurs de l’environnement ont rejoint les deux associations dans leur combat, à l’instar de Fred Jacq, dont la pétition (sauvonslaforet. org) a dépassé 120 000 signatures sur le net. « Makatea abrite l’une des dernières forêts primaires de Polynésie française. Elle est peuplée d’animaux et de plantes endémiques et fait partie des 15 sites de conservation prioritaire en Polynésie française dont la préservation est impérative », rappelle l’ingénieur écologue.

Opération séduction

Le précédent gouvernement était lui-même opposé au projet. « Le business plan ne donnait pas de garanties pour la fin de l’opération. Les engagements pris pour réhabiliter le site nécessitent des fonds. Mais comment ce fonds va-t-il être créé et qui sera chargé de sa gestion ? », s’interroge Jacky Bryant, ministre de l’Environnement, de l’Energie et des Mines de 2011 à 2013.

Autre équipe, autre discours, le gouvernement d’Edouard Fritch semble réceptif, au contraire, à ce projet d’extraction soutenu par les élus du conseil municipal de Rangiroa, dont dépend Makatea. La demande de concession déposée par la SAS Avenir Makatea doit désormais être examinée par le comité des mines puis le conseil des ministres, qui donnera son accord en dernier ressort. Mais rien ne se fera sans le consentement de la population a répété le gouvernement à plusieurs reprises. D’où cette opération séduction qui se déroule du 30 novembre au 3 décembre, à la présidence du gouvernement de Polynésie. Au travers d’une exposition baptisée « Makatea : passé, présent, avenir », Colin Randall espère convaincre le grand public de l’utilité de son projet. Ses détracteurs, quant à eux, comptent profiter de cette vitrine pour faire entendre leurs voix en manifestant devant le parvis de la présidence, ce mercredi 30 décembre.

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Les estimations de la banque mondiale ne sont guère favorables. De 138 dollars US, tel qu’annoncé par le promoteur, la tonne de phosphate devrait tomber à 70 dollars d’ici 2025.


D’une île à l’autre

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Découvert vers 1860 sur une île quasi inhabitée, le gisement de phosphate de Makatea n’est réellement exploité qu’à partir du XXe siècle, avec la création la Compagnie française des phosphates de l’Océanie (CFPO) en 1908 par Etienne Touzé, ingénieur des travaux publics à Papeete. Le potentiel économique de ce minerai, qui entre dans la composition d’explosifs et d’engrais agricoles, apparaît rapidement. Le phosphate se hisse au premier rang des exportations polynésiennes et alimente les marchés japonais, australiens et néo- zélandais. A elle seule, la CFPO assure près d’un quart des recettes budgétaires de la Polynésie française et fait travailler, outre la population de Makatea, près de 200 personnes de la capitale et 500 des Australes et des îles Sous-Le-Vent. De quoi faire de Makatea l’île la plus peuplée des Tuamotu avec près de 3 000 habitants. Quand la compagnie met la clé sous la porte en 1966, des familles entières se retrouvent sans ressources. Nombre de travailleurs choisissent de s’exiler en Nouvelle-Calédonie, où le secteur du nickel est à la recherche de main-d’œuvre qualifiée et bon marché. La rue de Papeete, à Ducos, doit son nom à cette vague d’ouvriers polynésiens venus travailler en Nouvelle-Calédonie, accompagnés de leurs proches.

Nauru, le récit d’un désastre

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À des milliers de kilomètres de Makatea, l’atoll de Nauru a connu lui aussi les joies et les désillusions de l’exploitation intensive du phosphate. Les conséquences économiques, sociales et environnementales ont été plus dévastatrices encore pour cet État qui a revendiqué son indépendance en 1968, à une époque où les retombées du minerai étaient exponentielles. A l’image de Makatea, l’activité a démarré au début du XXe siècle et connu une embellie dans les années 1970 et 1980, au point de faire de cet État microscopique l’un des pays les plus riches au monde. Les Nauruans, devenus rentiers, ont délaissé leurs traditions ancestrales au profit d’un mode de vie à l’occidentale. Au début des années 1990 cependant, la ressource s’est tarie. À la recherche de nouveaux leviers financiers, Nauru est devenue une terre d’accueil des banques off-shore puis un camp d’internement, financé par Canberra, pour les réfugiés cherchant à s’exiler en Australie. Si l’activité minière ne s’est jamais totalement arrêtée, la perspective d’une nouvelle forme d’exploitation – le « secondary mining » – aiguise désormais les appétits des propriétaires terrains et attise un peu plus les tensions sur l’île, où les cas de violence se sont accrus. Sans oublier les ravages du diabète et de l’obésité, qui sont devenus les nouveaux fléaux de Nauru.

Coralie Cochin

©Chantal Alexandre/ Makatea Archives