Le ministre du Budget s’intéresse à la défisc

Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics était en visite du 14 au 18 février. L’occasion pour lui de rencontrer de nombreux services de l’administration de l’État en Calédonie, mais aussi les syndicats de fonctionnaires. Gérald Darmanin a également visité plusieurs entreprises bénéficiant de la défiscalisation.

Le déplacement a légèrement étonné les observateurs politiques. D’autant que la visite de Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, était plutôt discrète. Un grand nombre de rencontres et de réunions sont restées hors de portée des micros et des caméras, en particulier celles qui ont permis au ministre de rencontrer le personnel de l’administration notamment autour du blanchiment et de la délinquance financière, mais aussi de la défiscalisation. Ce dernier thème était pourtant au cœur du voyage du ministre qui a pu prendre la mesure du dispositif sur le terrain, qu’il s’agisse des « petits » comme des grands projets.

Le ministre s’est ainsi rendu sur le site de l’usine du Sud. Antonin Beurrier, le PDG de Vale NC, a présenté le projet Lucy et ses installations pilotes. L’idée de ce projet est d’assécher les résidus liquides actuellement stockés dans une verse et retenus par un barrage. Le fait de les sécher permettra de se passer d’un barrage et toutes les complications qui sont associées, sans parler des risques de rupture, comme cela a été le cas au Brésil. Le projet Lucy représente un investissement total de l’ordre de 600 millions de dollars – 63 milliards de francs, soit l’équivalent du Médipôle et de l’aéroport de la Tontouta – pour lequel l’industriel a sollicité la défiscalisation nationale à hauteur de 100 millions de francs en décembre dernier.

La défiscalisation, un outil indispensable ?

Antonin Beurrier a précisé que la participation de l’État était incontournable pour la réussite du projet. Comme l’a rappelé le PDG, l’État avait déjà apporté son soutien à Vale NC pour l’aider à traverser le plus fort de la crise du nickel de ces dernières années. Il y a fort à parier qu’il réponde présent une nouvelle fois. Quelques jours avant la visite du ministre dans le Sud calédonien, Emmanuel Macron, annonçait la création d’un champion européen, sur le modèle d’Airbus, dans la production de batteries pour les véhicules électriques. Le Président de la République, en collaboration avec l’Allemagne, a annoncé un soutien financier de 700 millions d’euros (84 milliards de francs) à la filière. Du côté allemand, le soutien sera de l’ordre d’un milliard d’euros. À terme, les deux pays souhaitent rattraper leur retard dans la course à la production de ces batteries, indispensables à la production de véhicules électriques.

L’État peut aujourd’hui compter sur Eramet qui produit du nickel utilisable dans cette filière grâce à des importations de Finlande*. Le recours au produit de Vale pourrait être tout particulièrement utile, notamment du fait de sa compétitivité. Le produit commercialisé par Vale a besoin de très peu de transformation ce qui devrait le rendre particulièrement attractif. Reste à l’industriel du Sud à travailler sur la qualité de sa production. Si les accords de défiscalisation ne prévoient pas de privilégier des clients plus que d’autres, ce qu’a rappelé Antonin Beurrier, on n’imagine mal que l’État concède plusieurs millions d’euros sans demander aucune contrepartie et alors même qu’il cherche à développer cette filière stratégique nécessitant précisément cette ressource, au-delà des problématiques économiques et sociales calédoniennes. En phase d’exploitation, Lucy impliquera la création de 150 à 180 emplois.

À la question de savoir si le dispositif de défiscalisation devait être remis en cause, le ministre a été plutôt clair, estimant que son soutien au développement économique était indéniable, tout spécialement en Nouvelle- Calédonie où les projets touristiques et aquacoles sont presque systématiquement associés à la défiscalisation. Comme l’a souligné le ministre du Budget, c’est la niche fiscale et donc le manque-à-gagner que dénonce régulièrement la Cour des comptes. « Notre système est un peu shadokien. Ces dernières années, nous avons fortement relevé l’impôt. Pour le rendre acceptable, notamment pour les tranches les plus élevées, nous avons mité l’impôt, ce qui est un peu hypocrite. Aujourd’hui, nous avons 474 niches fiscales en Métropole », explique Gérald Darmanin qui voit dans la défiscalisation un outil permettant d’éviter d’aider les gens au travers de subventions, mais plutôt en leur offrant la possibilité d’accéder à un emploi.

L’indexation possiblement remise en cause en 2019

Reste que le dispositif est relativement coûteux, même si le ministre estime qu’il ne l’est pas tant que ça à l’échelle de la nation et que la Commission européenne a demandé une évaluation. Cela devrait être fait à l’horizon 2025. L’idée est d’identifier tous les effets du dispositif y compris négatifs sur les économies insulaires peu mises en avant. En 2018, la défiscalisation nationale a représenté 24 milliards de francs (200 millions d’euros), soit près de 10 % des transferts financiers de l’État à la Nouvelle-Calédonie. Signe que le ministre n’envisage toutefois pas la suppression du dispositif à court terme, un interlocuteur identifié sera bientôt désigné au sein de la Direction des finances publiques. Sa mission sera de servir d’interlocuteur, en particulier pour les petites et moyennes entreprises qui ont parfois du mal à s’y retrouver dans les méandres de l’administration.

L’indexation est un autre dossier grand intéressant, le territoire est régulièrement pointé du doigt par les magistrats de la Cour des comptes. Ce dispositif identifié comme l’une des causes de la vie chère par des nombreux experts suscite très régulièrement la polémique. À la question de sa remise à plat, Gérald Darmanin a indiqué qu’il en serait effectivement question, mais pas à l’occasion de la réforme très prochaine de la fonction publique. Selon le ministre, le débat sur l’indexation se tiendra au moment de la réforme des retraites prévue au cours de l’année. Une révision à la baisse de l’indexation des fonctionnaires d’État pourrait fortement bousculer la Nouvelle-Calédonie qui a presque intégré l’indexation comme une normalité. Le président de la République lui-même multiplie pourtant les sorties dénonçant un niveau de sur-rémunération trop élevé ou du moins supérieur à la réalité de la différence de niveau de vie entre la Métropole et l’outre-mer.

M.D.

*La SLN ne devrait pas bénéficier de l’essor de cette filière. Au contraire, des annonces sont très attendues de la présidente du conseil d’administration d’Eramet, Christel Bories, d’ici la fin de la semaine, dans la foulée d’un conseil prévu le 21 février. Le pire est à craindre, notamment en raison du passage du cyclone Oma et potentiellement d’une autre dépression à venir. Les fortes précipitations vont compliquer le travail sur mine et du même coup, l’approvisionnement des fours de Doniambo en minerai. La fermeture d’un four est en jeu et pourrait impliquer la suppression de 200 emplois.