Le Comité des sages appelle à la modération

Interpellés par des attitudes et des prises de parole « contraires à l’esprit dans lequel doit se dérouler la préparation au référendum », les sages appellent les partis politiques et la société civile à la sérénité dans le cadre de la campagne officielle qui va s’ouvrir.

Les dérapages de ces derniers jours n’ont pas échappé à nos sages. Jean Lèques, Roch Apikaoua ou encore Jean-Pierre Aïfa ont tenu à s’exprimer devant la presse mardi pour dénoncer un certain nombre d’initiatives et attitudes « parfaitement contraires à l’esprit des accords » et qui viennent « heurter les efforts de tous pour maintenir le pays sur la voie de la paix et du dialogue » dans cette campagne pour la consultation.

Des deux côtés

Ils ont d’abord mentionné les tensions à Ouégoa entre les partisans du maintien de la Nouvelle- Calédonie dans la France et les indépendantistes suite à une volonté de certains d’empêcher la tenue d’un meeting du FLNKS. Ces tensions, ont estimé les sages, « auraient pu faire courir un risque à l’ensemble du processus », les « risques de dérapages incontrôlés sont réels ». Mais l’intervention des différents partis politiques, notamment du porte-parole de l’Union calédonienne Daniel Goa et de l’État, a permis de calmer les ardeurs.

Le second mauvais point a été distribué à Gaël Yanno. Et pour cause. Le président du Congrès n’a pas trouvé mieux à faire en cette période référendaire que de supprimer les couleurs du drapeau kanak sur les façades du Congrès. Une provocation inutile, « susceptible de raviver inopportunément un débat qui dans le passé a déjà beaucoup divisé ainsi que d’humilier une partie de la population », ont asséné les sages qui ont tenu à rappeler la devise inscrite sur le fronton de l’hémicycle : « Terre de parole, terre de partage ».

Un geste inconsidéré et totalement dangereux qui a fait étrangement moins de bruit cependant que les propos tenus le 6 octobre par Daniel Goa, que n’a pas manqué de relever la cellule de veille. Le président de l’UC avait qualifié, on s’en souvient, les anti-indépendantistes « d’axe du mal ». Les sages, qui ont fait part de leur « incompréhension », appellent les responsables à montrer l’exemple face aux tentations de repli communautaire. Ils estiment, d’ailleurs, que le contexte du discours – prononcé devant des militants – n’atténue en rien le fait que ces propos caricaturaux, visant « différencier le bien du mal en fonction des convictions politiques et personnelles », ne peuvent qu’engendrer « haine et mépris ».

Les sages ont aussi pointé du doigt toutes les manœuvres visant à bloquer des sites miniers ou hôteliers (« avec un appel à l’indépendance réservée qu’aux Kanak ou à la restitution des terres en dehors de tout cadre juridique ») et apporté tout leur soutien à l’État dans ses actions de maintien de l’ordre « permettant de mettre un terme à ces actes de délinquance pseudo-politiques ».

Nos « vieux » ont enfin exprimé leur inquiétude grandissante quant à l’utilisation des réseaux sociaux pour laisser libre cours, souvent dans l’anonymat, à des diatribes voire des insultes à caractère raciste pouvant porter atteinte à la société et la légitimité de chaque communauté.

Bonnes volontés

De manière plus générale, le Comité des sages a néanmoins conscience que le climat est relativement serein en Nouvelle-Calédonie considérant l’importance de l’échéance qui arrive, une échéance porteuse d’histoire, de combats parfois anciens. « C’est un plaisir de voir que cela se passe bien, nous a dit Jean-Lèques, et moins nous aurons à nous exprimer, mieux ce sera ! »

Selon Élie Poigoune, président de la Ligue des droits de l’homme, les partis politiques qui avaient été rencontrés en amont ont été très sensibles aux discussions qu’ils ont eues avec le Comité des sages. Ils ont été réceptifs et cela se ressent globalement, même si comme, l’a rappelé Jean- Pierre Aïfa, on sent, à six mois des provinciales, une certaine préoccupation électoraliste. Pour l’ancien maire de Bourail, « l’important est que le vote du 4 novembre se passe bien. Après, ce sera autre chose, un autre combat ».

Élie Poigoune a tenu à souligner que les rencontres avec les jeunes ont été tout aussi positives. « Nos discours ont été très bien perçus. Et si les jeunes ont des inquiétudes légitimes, ils ont surtout fait part de leur envie de construire le pays ». Raison de plus, estime le père Apikaoua, pour « engager notre responsabilité d’adultes ». Jean-Pierre Aïfa, à ce sujet, a simplement regretté que les jeunes semblent encore manquer d’informations sur ce qu’il se passera en cas de « oui » ou de « non » à la question référendaire. L’État a récemment fait une large communication, mais il se demande si l’on s’est « assez attardé » sur le sujet avec eux.

Tous, cependant, parlent d’une « belle jeunesse », une jeunesse « d’un autre temps » qui nous amène « un avenir prometteur ». La sagesse visiblement, n’est pas que dans les barbes.

C.M.


Leurs missions

Connaissant la propension locale aux affrontements de fond en période électorale et pesant le caractère particulier de ce qui se joue actuellement, le Premier ministre, Édouard Philippe, avait pris l’initiative de la création de ce Comité des sages lors du dernier Comité des signataires en décembre 2017. Il est composé de personnalités respectées, Taïeb Aïfa, le père Roch Apikaoua, Jean-Pierre Flotat, Jean Lèques, Élie Poigoune, Anne-Marie Mestre, Marie-Claude Tjibaou, Octave Togna, Fote Trolue, Billy Wapotro et le regretté Robert Froin, décédé récemment.

Leur vocation : surveiller les propos tenus lors de la campagne, dénoncer les expressions excessives ou blessantes pour la société calédonienne, veiller à ce que soient respectées les valeurs communes du vivre ensemble, que la période soit à la hauteur de ce qui doit être transmis aux jeunes générations dans une culture océanienne où la parole a une place centrale.

En mars dernier, le Comité des sages avait fait part de son inquiétude sur les tensions existant au sein du groupe de travail « Sur le chemin de l’avenir » et avait encouragé les partenaires à poursuivre les échanges dans le respect mutuel.