L’Australie et la Calédonie face aux pirates

Les forcées navales de Nouvelle- Calédonie ont reçu leurs homologues australiens pour aborder la question de la pêche illégale de la bêche-de-mer. Depuis mars 2016, l’armée australienne observe une recrudescence des intrusions de pêcheurs vietnamiens qui sont arrivés dans les eaux calédoniennes quelques mois plus tard. Les deux pays ont décidé de mettre en place une stratégie globale de lutte contre le problème.

Les arraisonnements des bateaux par les forces militaires calédoniennes ne se comptent plus. Si les forces armées connaissent une trêve ces dernières semaines, il se pourrait qu’elle soit de courte durée. Depuis juin 2016, c’est une vingtaine de « blue boats », les fameux bateaux de pêche vietnamiens bleus, qui ont été poursuivis et, dans le meilleur des cas, arraisonnés et déroutés vers Nouméa. Deux d’entre eux ont d’ailleurs pu s’échapper, emportant une partie de la cargaison de bêches-de-mer pas encore saisie.

Le phénomène est nouveau en Nouvelle- Calédonie, mais pas vraiment dans les autres pays de la région. Depuis longtemps, la Papouasie Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et l’Australie étaient confrontées au problème. La surpêche a conduit à l’épuisement de la ressource dans les plus anciennes zones de pêche. Conjuguée à l’accroissement de la demande en Asie, les prix ont fortement augmenté et poussé les pêcheurs vietnamiens à s’aventurer toujours plus loin et vers des endroits où la ressource est encore préservée. La situation est prise très au sérieux, tant par les autorités australiennes que calédoniennes et pour plusieurs raisons. La principale est une question de souveraineté. Ne pas donner de réponse forte revient à donner un blanc-seing aux pêcheurs illégaux et le signal que la protection des zones maritimes n’est pas assurée. Les pouvoirs publics redoutent également les conséquences environnementales de cette pêche.

Un problème pris au sérieux

La bêche-de-mer est un maillon essentiel de la bonne santé des écosystèmes dans laquelle elle se trouve. La technique de pêche au narguilé et utilisée par les Vietnamiens leur permet de nettoyer littéralement les récifs. En Australie, des bateaux ont, par exemple, été arraisonnés dans le parc marin du récif de Lihou. Les conséquences ne sont pas anodines pour les populations locales, à commencer par celle de Bélep, dont les ressources dépendent aujourd’hui presque exclusivement de la bêche-de-mer. De fortes tensions ont été signalées entre les pirates vietnamiens et les Béléma, au point que ces derniers, en plus des masques, embarquent sur leurs bateaux des fusils.

Et c’est sans parler du coût, énorme, pour les collectivités. Pour arraisonner un bateau, il faut mobiliser près de 200 personnes, estime grossièrement Jean-Louis Fournier, le commandant de la zone maritime de Nouvelle- Calédonie. Une des opérations ayant permis d’arraisonner un bateau avait été estimée à plusieurs dizaines de millions de francs. Afin de mieux coordonner les efforts des marines australiennes et calédoniennes qui collaborent depuis longtemps, Jean-Louis Fournier a reçu le responsable de l’Autorité des pêches australiennes et l’amiral Peter Laver, commandant du Maritime Border Command australien.

Une stratégie globale

L’idée est bien sûr d’améliorer la communication au niveau opérationnel, mais surtout de mettre en place une stratégie globale pour lutter contre ces pêches illégales. Cela se traduit sur l’eau, mais aussi sur le plan diplomatique. Le ministère des Affaires étrangères français a contacté ses homologues vietnamiens et, récemment, c’était au tour du ministère australien de conduire une mission au Vietnam. Les diplomates ont rencontré le gouvernement vietnamien sur cette question, mais en ont également profité pour rencontrer les pêcheurs dans le but de les sensibiliser sur les impacts écologiques, tout en amorçant des actions de coopération afin d’aider la filière et donc éviter qu’elle ne vienne illégalement dans des eaux territoriales ne lui appartenant pas. Si l’idée est louable, la détermination mise en avant par le commandant de la zone maritime de Nouvelle-Calédonie laisse entendre que cela pourrait ne pas suffire. Une des hypothèses sur lesquelles travaillent les forces armées est que les marins pourraient être intéressés aux bénéfices, une des explications de l’opiniâtreté des matelots. Des deux côtés de la mer de Corail, les investigations se poursuivent et l’on tente, à quatre mains, de réunir les pièces du puzzle pour mieux identifier le modèle économique des pirates.

Pour Jean-Louis Fournier, une fois ce modèle mieux compris, les coups à la filière seront plus faciles à porter. Le suivi et l’identification des bateaux sont essentiels. Une rencontre, il y a quelques jours, entre l’amiral Peter Laver et les garde-côtes vietnamiens laisse espérer que la filature pourra être encore plus efficace. Sans compter que chaque identification de bateau donne lieu à un signalement aux autorités vietnamiennes. De son côté, la Nouvelle- Calédonie devrait prochainement proposer un soutien au Vanuatu dont les moyens de surveillance sont plutôt restreints. Les forces armées espèrent que la collaboration et l’insistance de l’Australie et de la France auprès du Vietnam porteront leurs fruits. Dans le cas contraire, d’autres voies existent, même si c’est encore loin d’être d’actualité, comme le souligne Jean-Louis Fournier. Il existe notamment la possibilité de mettre en place des sanctions économiques, comme cela a récemment été le cas pour le Cambodge qui refusait d’admettre des pêches illégales.

En Australie, les prises représentent 61 tonnes, soit nettement plus que les prises qu’en Nouvelle-Calédonie. Le responsable de l’Autorité des pêches australiennes estime toutefois qu’une part importante pourrait avoir été pêchée dans d’autres eaux que les eaux australiennes.

Photo une : Jean-Louis Fournier, le commandant de la zone maritime de Nouvelle-Calédonie a reçu, mercredi 22 mars, le responsable de l’Autorité des pêches australiennes et l’amiral Peter Laver, commandant du Maritime Border Command australien. Ils se sont également rencontrés il y a une quinzaine de jours à Cairns pour discuter de la questions des moyens à mettre en œuvre.

 

M.D.