La transition énergétique s’accélère et se complique

Engineers checking solar panel setup

Enercal a présenté son bilan annuel, le mardi 16 avril. L’occasion de mesurer la rapidité de l’évolution du système électrique et l’essor des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Les objectifs fixés par le schéma pour la transition énergétique pourraient être atteints avant 2030, mais ne vont pas sans poser un certain nombre de questions techniques.

La carte des moyens de production est presque devenue illisible. Avec le temps, le nombre d’outils de production s’est considérablement étoffé. C’est tout particulièrement le cas depuis le début des années 2000 qui ont vu se concrétiser les premiers projets de fermes éoliennes. Avec la démocratisation de l’énergie photovoltaïque et l’industrialisation de la fabrication des panneaux solaires générant un effondrement de leur prix, cette source de production électrique tend à s’imposer à travers le monde.

La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas au phénomène au point que l’écrasante majorité des projets portés par les sociétés calédoniennes s’appuie sur cette technologie. La liste des projets parle d’elle-même. Sur trois années, entre 2017 et 2019, Enercal a recensé 23 projets d’énergies renouvelables. Sur ces 23 projets, on ne compte qu’un seul projet éolien et un seul projet hydroélectrique, le reste concerne des installations photovoltaïques avec et sans stockage.

Un engouement des promoteurs liés à la forte baisse des matériaux qui permet aujourd’hui de produire un kilowattheure pour un prix en dessous de sept francs. Un coût plutôt intéressant si l’on tient compte des coûts de production des énergies fossiles. Le coût complet pour un kilowatt produit par le fioul est de l’ordre de 17 francs, 20 francs pour le charbon et 45 francs pour le kérosène.

Mais le développement des énergies renouvelables, relativement peu diversifié, ne va pas sans poser de problème. L’intermittence de la production des énergies renouvelables à des conséquences sur la stabilité du système. Pour Enercal, gestionnaire du réseau, le défi est de faire en sorte que l’électricité produite couvre les besoins des consommateurs. Dans le cas contraire, il existe des risques pour les équipements raccordés ainsi que de coupures d’électricité. Toute la difficulté est de prévoir au plus juste les besoins et mettre en face les moyens de production nécessaires.

Explosion du renouvelable, mais manque de diversité

Le manque de diversité des projets est regrettable en raison de la complémentarité des différentes technologies d’énergies renouvelables. Le solaire, qui ne fonctionne que la journée, pose le problème des consommations électriques la nuit. Dans ce cas, l’éolien est un bon relais puisqu’il produit des kilowatts, y compris après le coucher du soleil. D’autres technologies, comme la biomasse, seraient aussi à même de prendre le relais de produire de l’énergie en complément du solaire. Reste que le nombre de projets dans ces autres domaines est encore très faible.

Le gouvernement ne lâche pas pour autant son objectif fixé par le schéma pour la transition énergétique (Stenc) de couvrir l’équivalent de 100 % de la distribution publique à l’horizon 2030. À noter toutefois que l’abandon du projet de barrage de la Ouinné aura des conséquences. Les 44 MW initialement prévus représentent environ 100 MW de puissance photovoltaïque installée, ce qui est plutôt important. À titre de comparaison, l’actuelle programmation pluriannuelle des investissements prévoit l’installation de 351,7 MW de renouvelables supplémentaires entre 2015 et 2030.

La PPI est actuellement en cours de révision et devrait être revue par le gouvernement au mois de mai. Des autorisations pour des projets représentant une trentaine de mégawatts devraient être accordées. Si l’objectif prévu par le Stenc est de parvenir à produire l’équivalent de la distribution publique, la Dimenc a toutefois précisé, à l’occasion de la conférence de presse d’Enercal, qu’il ne fallait pas voir les choses de manière trop dogmatique, mais plutôt comme « une dynamique ». Une précision qui se veut plutôt prudente quant à la poursuite des objectifs.

Si le nombre de projets dans le renouvelable explose, cela ne règle pas le problème de la production électrique issue de ressources fossiles qui sera toujours nécessaire pour assurer la stabilité du système. Cette problématique essentielle intimement liée à la métallurgie pose la question du dimensionnement de la future centrale thermique, prévue en remplacement de la centrale de Doniambo. Pour pallier le manque de stabilité du renouvelable, des études ont été commandées à EDF sur l’opportunité d’utiliser des batteries afin de lisser ce type de production. L’idée étant que les kilowatts produits puissent être restitués en fonction des besoins et notamment le soir. L’étude pourrait être rendue d’ici juillet et apportera un éclairage sur un stockage centralisé qui coûterait potentiellement moins cher qu’un stockage sur chaque site de production et serait surtout plus simple à piloter pour le gestionnaire du réseau.

Les particuliers, vaches à lait de l’équilibre du système

Une solution qui prend encore plus de sens avec le développement de l’autoconsommation. La possibilité pour les particuliers et les entreprises d’installer des panneaux solaires sur leurs habitations ou leurs locaux connaît un certain succès. Depuis 2015, le nombre de raccordements progresse chaque année. Aujourd’hui, la puissance installée représente environ 9 MW, soit l’équivalent d’une grosse centrale solaire. Si le tarif de rachat est relativement incitatif, les investissements restent encore élevés pour les particuliers. Il faut compter environ un million de francs pour alimenter les besoins d’une petite famille, ce qui ne permet pas de se passer de consommation, la nuit notamment. Des opérateurs comme EEC travaillent actuellement sur des solutions de stockage pour les particuliers. Certains partis politiques estiment que cela ne va pas assez loin et proposent de « réquisitionner » les toits afin d’augmenter la production photovoltaïque en évitant du foncier potentiellement utilisable pour d’autres usages.

Au-delà de la question du dimensionnement, il reste un gros chantier à conduire, celui de la consommation. Et en la matière, peu de choses ont été faites en dehors des mesures adoptées visant à imposer l’étiquetage des performances énergétiques des appareils électroménagers ou l’interdiction d’importer des ampoules halogènes et à incandescence à compter du 1er janvier 2020. Le bilan d’Enercal sur les deux dernières années ne montre d’ailleurs pas de baisse de la consommation des ménages. Un audit de la Commission de régulation de l’énergie * vient de s’achever sur la cohérence de la grille tarifaire du système électrique, les tarifs étant le plus puissant levier d’incitation à moins consommer.

En la matière, la grille actuelle peut justement paraître assez peu incitative. Selon les chiffres de 2014, les particuliers consommaient 39 % de l’électricité hors métallurgie, mais payaient la moitié de la facture. Les quelque 800 entreprises consommaient pour leur part environ 38 % de l’électricité, mais n’assumaient que 24 % de la facture. Pour résumer, le tarif de 9,7 francs du kilowatt facturé aux entreprises, inférieur au coût réel de production, est financé par les particuliers (ces entreprises payent 9,7 francs pendant les huit mois de saison fraîche, mais 20 francs du kilowatt pendant la saison chaude pour les inciter à faire des efforts). Chaque année, ces kilowatts vendus à perte représentent un déficit de l’ordre de 1,5 milliard de francs compensé par les particuliers. À noter que ces entreprises, comme des hôtels ou encore des enseignes de la grande distribution, bénéficient d’un tarif inférieur à celui accordé à la SLN. Pour la Direction de l’industrie, des mines et de l’énergie, il ne faut toutefois pas voir cela comme une subvention puisque l’énergie produite l’est avec des outils différents pour des usages différents. Le rapport de la Commission de régulation de l’énergie devrait permettre d’y voir plus clair, pour peu qu’il soit rendu public.


La centrale C pose bien des questions

La centrale B de Doniambo a largement fait son temps. Des investissements récents vont toute fois permettre d’allonger sa durée de vie de près de huit ans. On peut donc se demander quelle est l’urgence, sinon sanitaire en raison de l’impact des émissions sur la santé des Nouméens, à remplacer cet équipement dans les plus brefs délais. D’autant plus qu’il faudra attendre quatre années au minimum avant que le nouvel équipement puisse être mis en service. Il existe de nombreuses zones d’ombre autour du projet de la centrale C, en particulier autour de son dimensionnement. La société Nouvelle-Calédonie Énergie en charge de la gestion du projet communique peu, à commencer en direction des membres des conseils d’administration des structures actionnaires de cette société. La Commission de régulation de l’énergie a rendu un rapport sur le dimensionnement de la centrale qui ne leur a toujours pas été présenté, malgré plusieurs demandes en ce sens. Paradoxalement, NCE s’est récemment félicitée au travers d’un communiqué du bon avancement du projet.

La question du dimensionnement de la centrale est d’autant plus importante qu’elle est intimement liée à la SLN qui connaît de vraies difficultés. Son avenir est plutôt incertain et les décisions autour de la centrale pourraient être prématurées quand on sait qu’un four est notamment menacé de fermeture dans les mois à venir. De manière générale, ce projet à près de 80 milliards de francs, financé par une taxe sur les carburants, manque clairement de transparence pour un projet de cette importance et dont la gestion est assurée par une seule et unique force politique calédonienne. Un manque de transparence qui ne fait créer de la suspicion, sans compter que la maison-mère d’une des sociétés choisies dans le cadre des études a vu son P-DG condamné à quatre ans de prison pour une affaire de pots de vin en 2018.

M.D.