La grande distribution bientôt bouleversée

L’ouverture de l’hypermarché Géant, à Dumbéa-sur-Mer, prévue le jeudi 26 avril au matin, est une première étape vers une redistribution des cartes et la promesse d’une concurrence accrue. Petit tour d’horizon du marché et des impacts attendus de l’ouverture de ce nouvel hyper.

L a grande distribution est souvent mise au banc des accusés quand on parle de vie chère. Et pour cause, si ses acteurs n’en sont pas forcément responsables, leur rôle est central dans la consommation des Calédoniens. En 2008 (*), les hypermarchés, supermarchés et discounts concentraient 53 % des dépenses alimentaires sur l’ensemble du territoire et près de 15 % des dépenses vestimentaires. Un poids très important surtout si l’on considère le faible nombre d’acteurs dans le secteur. Mais les lignes ont d’ores et déjà commencé à bouger.

Longtemps dominée par deux acteurs, la grande distribution a vu émerger de nouveaux arrivants. Dans le Grand Nouméa, on recense ainsi le groupe Carrefour (Carrefour et Champion), le groupe Bernard Hayot (Géant et Casino), le groupe Héli (Super U et Simply Market), le groupe Korail, le groupe Pentecost (Discount) et enfin, le groupe Ballande qui porte notamment le projet de l’Hyper U de l’Anse-Uaré, à Ducos. Et c’est sans compter sur les petits commerces. Si la grande distribution, apparue sur le territoire à la fin des années 80, a facilement englouti des parts de marché jusque-là occupées par de petits magasins, ces derniers ont su résister et conserver une place dans les habitudes de consommation des Calédoniens.

Vers un marché dominé par trois acteurs

En termes de chiffres, deux groupes se répartissent actuellement le marché des hypers, qui représente près de 80 % de l’ensemble de la distribution : les groupes Bernard Hayot, pour près de 60 % et Carrefour qui détient près de 40 % des parts de marché. Avec l’ouverture du projet de l’Anse-Uaré, l’idée est de permettre une répartition du marché en trois tiers (GBH, Ballande et probablement un peu moins pour le groupe Carrefour qui perdrait environ 10 % de parts de marché). En prenant en compte les supermarchés concurrents, la Direction des affaires économiques, qui a instruit le dossier d’autorisation de l’Hyper U de l’Anse- Uaré, estime que les ouvertures n’auront pas d’impact sur leur chiffre d’affaires. Il restera compris entre 10 et 20 %.

Reste maintenant à ce que l’Hyper U sorte rapidement de terre afin que le marché soit réparti entre trois acteurs de la grande distribution pour environ un tiers de parts de marché chacun. Selon les prévisions, il pourrait ouvrir d’ici fin 2019. L’entrée de ce nouvel acteur devrait conduire à des stratégies de prix plus agressives. « S’il n’y a pas d’impact sur les prix, explique Aurélie Zoude-Le Berre, la présidente de l’Autorité de la concurrence, il est probable que nous lancions une enquête. En cas d’entente sur les prix, nous aurons rapidement des indices. »

Mais l’Autorité est plutôt confiante quant aux conséquences de la réorganisation du marché. « Nous constatons que ça bouge beaucoup et les petits acteurs de la distribution ont récupéré des outils de taille intéressante (lire par ailleurs), poursuit la présidente de l’Autorité. Il y a un réagencement des positions liées aux décisions prises en 2016 qui devrait conduire à une guerre des prix. »

Tout dépendra de la stratégie adoptée par les nouveaux entrants. Cela a en particulier été le cas pour Géant, racheté en 2011 au groupe Lavoix par le groupe Bernard Hayot. Les relevés de prix du panier de l’association UFC-Que choisir mettent régulièrement en lumière des prix pratiqués relativement proches malgré une grande variabilité. Le dernier relevé vient d’ailleurs de tomber. Pour l’année 2018, Carrefour affiche le panier le plus intéressant devant le Super U de Kaméré et le Géant de Sainte-Marie, ce qui était loin d’être le cas les années précédentes. Peut-être le signe d’un repositionnement de Carrefour en prévision de la concurrence à venir (les résultats de l’enquête de l’UFC-Que choisir sont à consulter sur le site internet de l’association www. ufcnouvellecaledonie.nc).

Des conséquences sur les prix et l’offre

Si l’on considère que le marché est dominé par les hypers, les supermarchés ont néanmoins toute leur place dans le jeu de la concurrence, en particulier au niveau des prix qui sont parfois plus intéressants. Comme l’explique Aurélie Zoude-Le Berre, faire ses courses dans un hyper prend du temps et l’on constate que les consommateurs calédoniens continuent de fréquenter les supermarchés, ainsi que les magasins de proximité.

La conséquence essentielle attendue de cette réorganisation du marché concerne les prix, mais davantage de concurrence pourrait également se traduire par le développement des services, d’offres nouvelles ou d’animations commerciales. Il est par exemple prévu que l’Hyper U propose un drive, permettant de venir chercher ses courses commandées sur internet sans avoir à entrer dans le magasin. Si l’on jette un coup d’œil du côté de la Métropole, « les grande surfaces ont connu un gros développement pendant une dizaine d’années. Cela a eu un impact lourd sur les commerces de proximité du centre-ville, rappelle la présidente de l’Autorité de la concurrence. Mais aujourd’hui, les grandes surfaces se repositionnent. Carrefour perd, par exemple, des clients sur les grandes surfaces en périphérie. Monoprix s’est repositionné et propose désormais un service de bar et a développé une offre plus large de textile ».

En fin de compte, tout dépendra de la réactivité des acteurs déjà en place, à savoir s’ils vont subir ou réagir. Et il ne s’agit pas uniquement des supermarchés. Tous les commerces sont concernés. L’Autorité de la concurrence a récemment rencontré le syndicat des commerçants, parfaitement conscient que la création d’une nouvelle zone de chalandise d’une taille importante ne sera pas sans effet sur l’activité des boutiques du centre-ville. En plus des 4 500 mètres carrés du Géant, le mall regroupe différents types de commerces et de services.

Incertitudes autour de la TGC

L’ouverture du Géant marque le coup d’envoi de grands bouleversements pour le commerce dans son ensemble et chacun devra se réorganiser, innover pour trouver sa place dans un marché plus ouvert. Selon Aurélie Zoude-Le Berre, ces projets « répondent aux besoins de la population dans des communes où la démographie explose comme Dumbéa ou Païta ». Et ce n’est pas fini puisque, toujours sur la zone, des projets se montent comme celui d’un magasin House ou encore un autre projet de centre commercial.

La TGC est paradoxalement le seul nuage qui plane à l’horizon. Afin d’éviter l’effet inflationniste de la mise en œuvre de cette taxe sur la consommation, les prix pourraient être encadrés. Selon l’Autorité, cette mesure pourrait décourager la dynamique concurrentielle, en particulier sur la question des prix. S’il est décidé de passer par des prix maximums, les acteurs seront incités à tous se mettre au prix plafond. Si la solution retenue est de geler des taux de marge, les services de la Direction des affaires économiques et l’Autorité de la concurrence vont se retrouver bien en peine pour assurer un contrôle tant les taux sont multiples et variés entre les enseignes en fonction des fournisseurs.

Et c’est sans même parler de la date de référence qui devrait être retenue. En attendant la publication des arrêtés d’application de la loi, l’Autorité de la concurrence reste donc plutôt circonspecte.

Ces profonds changements interviennent de manière concomitante avec l’évolution des pratiques des consommateurs. Après des années d’atonie dans le commerce, les revendications de la population qui avaient conduit aux grandes marches contre la vie chère ont été accompagnées par des changements notables dans la distribution et notamment l’arrivée de franchises. Plus qu’avant, les Calédoniens prennent conscience du poids de leur choix et de l’importance de faire jouer la concurrence.

(*) Ces chiffres sont issus de l’enquête Budget et consommation des ménages de 2008 par l’Institut de la statistique et des études économiques. Faute de moyens, l’Isee n’a pas encore pu reconduire une telle enquête. Il est envisagé une autre étude un peu différente dans le courant de l’année sur la thématique budget des familles.

M.D.


GBH se sépare de trois enseignes

Dans le cadre de l’instruction du dossier du Géant de Dumbéa-sur-Mer, la DAE a imposé au groupe GBH de se séparer de trois de ses enseignes afin de respecter la loi antitrust. Les surfaces cédées représentent plus ou moins la surface supplémentaire du nouvel hyper. Le Casino de la Vallée- des-Colons a été revendu au groupe Korail, le Leader Price de Rivière-Salée a été récupéré par le groupe Héli qui exploite les Super U, et enfin, le Casino Johnston n’a pas encore trouvé d’acquéreur. Un délai supplémentaire a été accordé pour permettre la poursuite des négociations.


Des précisions quant à la réforme de la TGC

Le gouvernement a adopté en collégialité plusieurs avant-projets de loi du pays pour permettre l’application de la TGC. Un des textes fixe notamment les conditions d’encadrement des prix pour les 18 mois suivant l’entrée en application de la nouvelle taxe. Cette loi retient plusieurs principes à commencer par l’obligation de supprimer du prix de vente au consommateur les taxes désarmées. Les entreprises devront maintenir leurs marges en valeur et non en volume. Les secteurs de l’alimentaire, de l’hygiène, de l’entretien, des pièces détachées automobiles et des matériaux de construction feront l’objet d’une réglementation des prix spécifiques. Le projet de loi permettra également au gouvernement d’intervenir exceptionnellement sur d’autres secteurs si des prix abusifs sont constatés.