La filière hydroélectrique renaît à Pouébo

Enercal et Nord Avenir ont posé la semaine dernière la première pierre du chantier de centrale hydroélectrique sans barrage de la rivière Paalo. Destinée à la distribution publique, l’installation servira de projet test pour relancer cette filière du renouvelable, abandonnée depuis 30 ans.

Le moral était au beau fixe, les mines réjouies vendredi dernier à Paalo où l’on officialisait en grande pompe le lancement du chantier Hydro Paalo, un projet d’1,6 milliard de francs porté par Enercal Energies Nouvelles, Nord Avenir et le GDPL Waxa Ledjao. Et pour cause : la Nouvelle-Calédonie, misant plus volontiers en matière de renouvelable sur l’éolien ou le photovoltaïque, n’avait pas investi dans l’hydroélectrique depuis les années 80 à la Néaoua, Houaïlou.

Et la fierté était peut-être plus grande encore pour la tribu de Paalo, district de Dihaoué, où l’on a pris le parti de s’emparer de ce projet pour dynamiser la zone, tout en s’inscrivant dans une logique de développement durable et de respect des valeurs traditionnelles.

Genèse

Désireuse de développer de nouveaux moyens de production d’énergies renouvelables, Enercal avait en 2013 initié un inventaire des sites potentiels pour l’hydroélectricité, un type de production adapté à la géographie du territoire, présentant l’avantage d’être « prévisible, disponible et fiable » avec un faible coût d’exploitation malgré un investissement lourd de départ. Au final pas moins de 80 sites avaient été identifiés, essentiellement sur la côte Est, dont une trentaine pouvant aboutir à des projets.

Parmi ceux-là, le projet sur la rivière Paalo s’est imposé sur la base de critères techniques, mais également humains. La mairie de Pouébo ainsi que les autorités coutumières propriétaires du foncier, dont le clan Koma et la tribu de Paalo en particulier, ont en effet rapidement accueilli le projet avec une réelle envie d’y contribuer. Cependant rien n’a été pris à la légère et il aura fallu cinq ans d’études et de discussions pour arriver à un résultat qui satisfasse toutes les parties – les habitants, les coutumiers, Enercal, la province Nord via Nord Avenir – et ce dans tous les aspects du projet, qu’ils soient environnementaux, sociétaux ou financiers.

Aménagement

Le chantier, conduit par le groupe Dumez- Cegelec, est prévu pour durer 18 mois. Il s’agira de monter une centrale « au fil de l’eau », c’est-à- dire sans barrage, sans stockage d’eau. Dans un tel système, l’eau est prise, utilisée, puis restituée à son milieu. L’idée étant d’utiliser la hauteur de la chute d’eau et le débit de la rivière comme source d’énergie pour produire l’électricité. Concrètement, les réalisations comprennent une prise d’eau dans la rivière à 560 m d’altitude, une conduite d’amenée de 1 600 mètres de longueur pour 500 mm de diamètre, une usine hydraulique avec turbine et alternateur pour produire l’électricité ainsi qu’une piste d’accès à mi-hauteur d’aménagement.

Hydro Paalo aura une puissance de 3 MW, pour une production annuelle de 7 081 MWh, soit la consommation électrique de 4 000 habitants. L’électricité produite sera intégrée au réseau existant et destinée à la distribution publique. L’énergie produite fera de la côte Nord-Est une zone à énergie positive la majorité de l’année et alimentera toute la Grande Terre.

Impact

Même si l’on admet que l’impact zéro n’existe pas, la préservation de l’environnement fait partie intégrante de la réalisation, précise-t-on du côté d’Enercal. On répète que l’eau utilisée n’est pas modifiée, chauffée ou polluée, qu’elle passe simplement dans une conduite, qu’elle est turbinée puis restituée « sans aucune perte ni altération ». Des mesures de suivi environnemental (débit, population piscicole) sont prévues au long cours pour mesurer l’impact éventuel en particulier sur la portion entre la prise d’eau et l’usine hydraulique.

On ajoute que les zones de végétation remarquables ou vulnérables (forêt humide) ont été identifiées et seront systématiquement évitées. Le tracé de la piste a notamment été modifié pour minimiser l’impact sur la zone. À noter que lors de la prospection, les équipes ont mis à jour des vestiges de taraudières. Un archéologue a été missionné, une thèse doctorante devrait être financée et il s’agira de conserver voire de mettre en valeur ce qui doit l’être.

Quoi qu’il en soit toutes les parties prenantes en ont conscience : il faudra qu’Hydro Paalo fonctionne dans tous les domaines pour envisager d’autres structures du genre en Nouvelle-Calédonie.

C.M.


Un « grand moment »

Vendredi, les représentants n’ont pas mâché leurs mots pour louer cette future réalisation ainsi que le partenariat qui l’a rendu possible. Jean-Michel Deveza, directeur général d’Enercal, a parlé d’une « belle aventure » d’un projet « porté par la population », Roger Kerjouan, président du conseil d’administration « d’un moment important pour l’entreprise qui croit à la transition énergétique, à une exploitation intelligente des ressources dans le respect de l’environnement, des territoires et des gens ». Le président d’honneur d’Enercal, Jean-Pierre Taïeb Aïfa, a salué le choix « du progrès, du chemin vers l’indépendance énergétique ». Victor Tutugoro, président de Nord Avenir, a insisté sur deux priorités de la province : l’amélioration des conditions de vie des habitants, mais également l’attention à porter à notre empreinte carbone.

Le député Philippe Gomès a salué un projet « emblématique de chez nous ». « Vous êtes des pionniers », a-t-il lancé aux coutumiers, en espérant que d’autres projets voient le jour ailleurs. Nicolas Metzdorf, membre du gouvernement en charge de l’énergie, a évoqué pour sa part « un projet stratégique pour l’avenir du pays » à l’heure où l’on « importe encore beaucoup trop de pétrole et de charbon pour l’électricité » et a parlé d’un « bel exemple de développement économique avec les coutumiers ».

Marie-Paule Tourte-Trolue, commissaire déléguée de la République en province Nord, a rappelé pour sa part que l’État se tenait derrière ce type de projets qu’ils concernent l’électricité ou bien l’accès à l’eau, « problème numéro 1 de la province ».

Enfin, Noël Poindi, grand chef de Dihaoué, a insisté sur l’importance d’une telle réalisation qui sera à la fois respectueuse de la nature, porteuse d’emplois, qui contribuera au rééquilibrage du nord-est et aussi au destin commun – dans le sens où elle bénéficiera à l’ensemble du pays. Dans le même esprit, le maire de Pouébo, Jean-Baptiste Dalap, s’est dit fier de participer à un « projet pays » et tenu à remercier la « mère nature de nous donner l’eau et donc la vie »…


Quelques chiffres

20 à 30 emplois créés pour 18 mois

1 emploi temps plein et des emplois indirects par la suite.

Le projet bénéficie de deux défiscalisations, locale et nationale.

3 aménagements hydrauliques déjà existants en Nouvelle-Calédonie (Yaté, Néaoua, Thu).

Hydro Paalo est détenu à 51 % par Enercal Energies Nouvelles, 44 % par Nord Avenir et 5 % par le GDPL Waxa Ledjao.

L’hydraulique représente 10 à 15 % de l’énergie totale consommée en Nouvelle-Calédonie.


Autorisation

Les coutumiers ont autorisé la construction et l’exploitation de la centrale pour une durée de 40 ans. Les installations sont établies sur terrains coutumiers (partie turbine) et domanials (Nouvelle-Calédonie) pour la prise d’eau et la conduite.

Mesures compensatoires

Parmi les mesures compensatoires figurent le paiement d’un loyer, une contribution à apport en eau potable réalisé par la mairie, la construction de sanitaires collectifs…