La coutume se fait une place dans le droit calédonien

La cohabitation de deux statuts, donc de deux droits en Nouvelle-Calédonie, pose de nombreuses questions aux juristes, ainsi qu’aux chercheurs. Ils se sont réunis les 27 et 28 avril dans le cadre d’un colloque afin d’échanger sur les différentes problématiques. L’occasion également de poser des jalons pour le futur et notamment une intégration « repensée » de la coutume dans le droit.

À l’instar de Wallis-et-Futuna et Mayotte, la Nouvelle-Calédonie est une exception au sein de la République française. La cohabitation de personnes de statuts différents est une particularité que l’on trouve seulement sur les trois territoires ultramarins. Ils traduisent des organisations sociales particulières et la cohabitation de systèmes traditionnels avec le système occidental. Cette cohabitation pose un certain nombre de questions et de problèmes aux professionnels et aux chercheurs en droit.

Pour la première fois, une équipe de l’Université de Nouvelle-Calédonie a épluché un corpus de plus de 600 décisions de justice afin de dresser un portrait, le plus fidèle possible, du droit coutumier en Nouvelle-Calédonie. Les chercheurs composés de spécialistes de toutes les disciplines du droit, mais aussi d’anthropologues ou encore de chercheurs en sciences économiques ont effectué une analyse des décisions de justice prises par les juridictions civiles coutumières entre 1985 et 2016.

C’est en 1982 que les assesseurs coutumiers ont débuté leurs interventions au sein des tribunaux, suite à l’ordonnance du 15 octobre 1982. Une disposition qui découle de l’article 75 de la Constitution (*). D’après les travaux d’Étienne Cornut, maître de conférences en droit privé qui a assuré la direction scientifique du colloque des 27 et 28 avril, les assesseurs n’ont toutefois réellement intégré les institutions qu’en 1990, suite à la loi de juin 1989 qui a notamment instauré les sections détachées du tribunal de première instance de Nouméa. Et ce n’est qu’après deux rappels de cette obligation par la Cour de cassation que la loi fut appliquée.

Égalité des droits ?

L’objectif du colloque avait vocation à rendre l’important travail réalisé sur le corpus de décisions de justice et proposer des pistes pour améliorer la coexistence de ces deux droits. Concrètement, les juges sont assistés par une soixantaine d’assesseurs coutumiers, véritables relais de la coutume auprès de l’institution judiciaire. Depuis l’officialisation par le Sénat coutumier, ils peuvent également baser leurs décisions sur la charte du peuple kanak, proclamée en 2014 et qui en définit les principes et les valeurs.

La jurisprudence importante couvre l’ensemble des domaines, qu’il s’agisse d’affaires familiales, foncières ou encore de responsabilité civile. Pour le maître de conférences en droit privé, le droit coutumier est loin d’être déficient, comme on peut parfois l’entendre. La coutume permet au contraire de réparer, d’une part, les préjudices qu’aurait couverts le droit civil et, d’une autre, de répondre aux problèmes posés sur le plan coutumier.

Si les choses sont relativement simples pour des affaires concernant des non-Kanak entre eux ou des Kanak entre eux, il en va tout autrement lorsque les litiges opposent un Kanak et un non-Kanak. Dans ce cas, c’est le droit civil qui s’impose au détriment du droit coutumier. Une inégalité sur laquelle ont travaillé des chercheurs dont Sandrine Sana-Chaillé de Néré, professeur de droit privé à l’Université de Bordeaux. Pour la chercheuse, la primauté du droit civil ne respecte pas l’égalité des statuts tels que le prévoit la loi organique. Des études ont bien été menées, mais sans avoir été suivies d’effets législatifs, le reflet d’une réticence à appliquer la coutume.

La question qui se pose est alors de savoir s’il est possible de fusionner les deux droits afin d’en créer un nouveau, un droit qui ne serait plus métropolitain, ni coutumier, mais le résultat d’une fusion des deux. Une option trop complexe à laquelle Sandrine Sana-Chaillé de Néré préfère l’application de la méthode des conflits de loi, utilisée en particulier dans les litiges internationaux, mais qui supposerait l’égalité des deux systèmes.

Cette idée novatrice peut paraître adaptée à certains cas, mais pas à tous, reconnaît toutefois la chercheuse. En particulier quand les non- Kanak ne peuvent remplir certaines conditions exigées par la coutume. La méthode peut en revanche fonctionner pour des adoptions, par exemple, qui ne nécessitent pas l’accord du clan de la personne qui adopte et peut donc ne pas appartenir à un clan. C’est également le cas pour l’occupation de terres coutumières par une personne de statut civil. Dans ce cas, le recours au droit coutumier permettrait de border juridiquement l’occupation.

Un droit pénal qui continue d’ignorer la coutume

Ces travaux avant-gardistes ne répondent pas à toutes les questions, comme le fait qu’une personne de droit coutumier puisse passer sous le droit civil, mais pas l’inverse. Cela signifierait notamment, en dehors du cadre de l’adoption, qu’une personne de droit civil puisse être intégrée dans la coutume. Pour éviter de quitter un dogme pour un autre, la chercheuse estime que l’égalité sera difficile à atteindre, mais qu’il est souhaitable de mettre un terme à la primauté systématique du droit civil sur le droit coutumier. Une ouverture qui permettrait d’intégrer la coutume dans des champs divers et variés tels que le Code du travail, mais aussi et surtout dans le Code pénal, qui a trop longtemps mis de côté la coutume, selon Étienne Cornut.

Selon Daniel Rodriguez, magistrat qui a effectué une présentation sur le droit pénal et la coutume, la coutume a un véritable pouvoir de sanction. Un pouvoir reconnu en 2010, suite au règlement d’un vieux conflit à Houaïlou qui avait conduit au meurtre d’une personne. Une charte d’engagement pour la sécurisation et le développement de la vallée de la Ouakaya a même été créée. Cet accord passé entre les clans, le conseil d’aire, la commune et le Sénat rappelle que les chefs de clan sont « référents pour régler et répondre des questions relatives à l’ordre, à la discipline et au respect des membres des autres clans de la vallée » et surtout que « si les dispositions de la charte ne sont pas respectées, l’interdiction de séjour d’une durée déterminée par le chef de clan sera appliquée selon la gravité de l’acte. Les chefs de clan s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour isoler toute personne qui constituerait une entrave à l’application de la présente charte. L’isolement sera décidé par le chef de clan en fonction de la gravité des actes reprochés. Par ailleurs, tous les actes de dégradation commis devront faire l’objet d’une réparation ».

Pour le magistrat, la seule limite aux sanctions est de ne pouvoir contrevenir au droit français, comme cela pourrait, par exemple, être le cas d’une bastonnade. L’intérêt de la prise en compte de la coutume par le droit pénal serait de donner du sens à des sanctions pour des personnes qui ne les comprennent pas. Il existe des avancées en la matière, qui permettent maintenant d’associer les autorités coutumières à l’exécution des décisions de justice. Une option qui pourrait être développée était d’ailleurs prévue par l’Accord de Nouméa. Seul problème, cette médiation pénale coutumière est déléguée par le procureur qui ne l’exerce pas forcément.


L’article 75 de la Constitution  

C’est cet article de la Constitution de 1958 qui a instauré la coexistence de deux statuts. Il reconnaît l’existence de statuts particuliers pour les territoires de la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Mayotte. En Nouvelle-Calédonie, l’Accord de Nouméa lui a donné le nom de statut coutumier, qui se distingue du droit commun même si les deux personnes sont de nationalité française.

 

M.D.