La Calédonie coupée en deux : celle de Macron et celle de Marine

Emmanuel Macron, qui avait fait son plus mauvais score du premier tour en Nouvelle-Calédonie, a totalisé dimanche 52,6 % des suffrages calédoniens contre 47,4 % pour Marine Le Pen. Des chiffres qui attestent d’un sursaut du vote indépendantiste en faveur du candidat marcheur. Mais qui n’affiche pas, à première vue, la déchirure géopolitique du territoire à un an du référendum : entre la Nouvelle-Calédonie pro-française qui a voté, ce coup-ci et à défaut, Marine Le Pen, et la Kanaky socialiste qui soutient Macron.

Mobilisation indépendantiste. – Côté chiffres au moins, c’est clair : le taux de participation, qui a bondi de 48,14 % au premier tour de scrutin à 52,96 % au second, a surtout profité à Macron. Quelque 5 000 électeurs aux urnes en plus en province Nord et une participation multipliée par deux dans les Îles, démontrent que les appels du Palika en faveur de Macron ont été entendus. Parallèlement, nombre d’électeurs de l’UC n’ont pas suivi d’obscures consignes de boycott de leur parti et choisi de faire « barrage au FN ».

Les deux Calédonie. – Au lendemain du scrutin, la Nouvelle- Calédonie revêt donc un double visage : celle qui a placé en tête, le Nord et les Îles pour faire simple. Celle qui a placé en tête Marine Le Pen : la ville de Nouméa, les trois communes de l’agglomération et la côte Ouest jusqu’à Koumac. Avec des chiffres sans appel, aussi : Mont-Dore, Païta et Dumbéa, où le vote frontiste atteint ou dépasse les 58 ; Bourail, où il frise les 62 % ; Boulouparis, où il dépasse les 68 % et La Foa, fief de Philippe Gomès, où il franchit les 57 %.

Droite / gauche. – C’est une constante dans cette présidentielle : le vote frontiste n’est pas qu’un vote d’adhésion aux thèses de Marine Le Pen et de sa représentante sur le territoire, Bianca Hénin. Non, il recoupe évidemment la géographie non-indépendantiste de la Nouvelle-Calédonie : et comme dans ce 2e tour, la seule candidate à avoir affiché son engagement pour la France, c’est Marine Le Pen, l’équation est facile à résoudre. On retrouve, en somme, et à quelques décimales près, la division classique du pays entre le vote à droite et le vote socialiste. A contrario, même si Macron a été élu et même si les candidats de Calédonie ensemble vont rejoindre, n’en doutons pas, la majorité présidentielle, les scores réalisés par la candidate frontiste (à défaut d’un candidat de la droite républicaine) sont un désaveu pour le candidat sortant de la 2e circonscription. En tout cas, pour ses dernières postures électorales.

Harold Martin. – « Pendant les 15 jours de l’entre-deux-tours, remarque Harold Martin, Calédonie ensemble s’est livré à un important battage pour soutenir et appeler à voter Macron. Or, on s’aperçoit que dans toutes le communes loyalistes Mme Le Pen est arrivée devant voire largement, y compris à Nouméa. Ce qui signifie que Calédonie ensemble et tous les indépendantistes qui ont soutenu M. Macron cela fait moins de 50 % sur cette partie de la Nouvelle-Calédonie. » Le maire de Païta poursuit : « Donc, pour ceux qui n’auraient pas encore bien compris, cela démontre clairement que M. Macron, le nouveau président de la République, reste socialiste. Et c’est bien à ce titre que les indépendantistes ont réagi et voté pour lui. »

Pierre Frogier. – Un autre signataire de l’Accord de Nouméa « ne fait aucunement confiance à Macron pour lequel il n’a pas voté ». Il rappelle sa campagne « marquée du sceau de l’ambiguïté et pire encore s’agissant de la Nouvelle-Calédonie ». Le président du Rassemblement s’affiche comme « un adversaire résolu de la politique qu’entend mener Macron en Nouvelle-Calédonie. Tous nos efforts doivent désormais porter, dit-il, sur les élections législatives derrière François Baroin notre porte-drapeau pour imposer une cohabitation à Emmanuel Macron. Ce sera, dit le sénateur, une chance pour la France et une bouée de sauvetage pour la Calédonie ».

Bernard Deladrière complète : « On voit très bien que le vote Macron en Métropole comme en Nouvelle-Calédonie n’est pas un vote d’adhésion à sa personne et à ses idées, mais un vote de rejet de son adversaire. Maintenant, tout reste à faire car tout commence avec les élections législatives des 11 et 18 juin prochains. Il faut une nouvelle majorité pour la France, une majorité de droite et du centre, une majorité claire et cohérente pour une véritable alternance afin de redresser notre pays après cinq années d’immobilisme. » Objectif pour lui, favoriser « une sortie pacifique et apaisée de l’Accord de Nouméa dans la France ».

Pour Sonia Backes, « Même si Emmanuel Macron arrive en tête avec 52 % des voix, Marine Le Pen fait un score très important, en particulier en province Sud où elle arrive en tête dans la plus grande partie des communes du Grand Nouméa et de la côte Ouest, à majorité loyaliste. » Un score important qui « s’explique, selon elle, par la volonté affirmée des Calédoniens de rester dans la République, par l’augmentation de la délinquance et de l’insécurité, par la mollesse et le laxisme des autorités de l’État ». C’est pourquoi, souligne-t-elle, le nouveau président de la République « aura la responsabilité d’entendre le message des Calédoniens, comme les responsables politiques locaux auront la responsabilité de porter ces attentes de manière ferme, claire et courageuse à Paris ». Or, insiste la candidate aux législatives dans la 1re circonscription, « Emmanuel Macron connaît peu la Nouvelle-Calédonie. Aussi, dans cette dernière mandature de l’Accord de Nouméa, le rôle des députés qui seront élus les 11 et 18 juin sera d’autant plus important pour que les bonnes décisions soient prises à l’approche de 2018. »

Dans l’opposition. – Le tandem Gaël Yanno / Gil Brial reconnait avoir « combattu sa candidature et pas voté pour lui ». L’un et l’autre se situent donc « résolument dans l’opposition constructive, mais intransigeante ». Pour autant, Macron sera, disent-ils, « le représentant du 3e partenaire de l’Accord de Nouméa et nous devrons donc tous travailler avec lui loyalement pour en préparer la sortie ».

Chez les indépendantistes. – Tous les partis saluent naturellement la victoire d’Emmanuel Macron, satisfaits d’avoir contribué à « faire barrage » au Front national : « s’opposer à la ratification de l’Accord de Nouméa disqualifiait ce parti », à leurs yeux pour la suite.

Autre lecture à Calédonie ensemble. – Philippe Gomès et Philippe Dunoyer sont les seuls présumés non-indépendantistes à se féliciter de l’élection d’Emmanuel Macron, dont ils « saluent » la « très belle victoire. C’est celle, disent-ils, d’une certaine idée de la France, de ses valeurs, de son engagement européen et de son rayonnement international ». Et d’ajouter : « Pour autant, cette victoire est fragile. Le taux d’abstention (25 %) est le plus important de toute la Ve République, le niveau de bulletins nuls et blancs atteint des sommets (9 %), et près d’un électeur sur deux déclare avoir choisi Emmanuel Macron par défaut (…) Le fait marquant de ce second tour, c’est le refus exprimé d’une manière ou d’une autre par un Calédonien sur deux, de participer à cette élection ».

Le credo des Philippe. – Pour autant, poursuivent les Philippe, « la droite républicaine (Les Républicains-UDI) doit prendre toute sa part dans cette œuvre de redressement national. Dans cette perspective, il importe qu’elle retrouve une place centrale au sein de la prochaine Assemblée ». Une invitation à franchir la ligne blanche de la collaboration avec le nouveau Président ? Pas vraiment avec la ligne tracée par François Baroin au nom de la droite républicaine, dont se revendiquent les deux Philippe ! Mais on se souvient que le député-maire de Troyes, ministre des Dom-Tom en 2005, avait déjà eu quelques maux avec l’ego de Philippe Gomès. Ça risque de ne pas s’arranger…

M.Sp.

©Pierre-Christophe Pantz