Il faut sauver le système de santé

Le système de santé calédonien fonctionne, mais coûte très cher. Cher, au point que les institutions doivent trouver entre quatre et cinq milliards de francs par an et ce, dès la fin de l’année. Le plan Do Kamo trace les grandes lignes de ce changement, reste à en définir les mesures opérationnelles.

Sauver le système de santé, oui mais comment ? La question reste entière malgré un important travail engagé dans le cadre du plan Do Kamo, « l’être épanoui ». Do Kamo a l’ambition beaucoup plus large que de réaliser uniquement des économies, a rappelé Valentine Eurisouké, membre du gouvernement notamment en charge de la santé, vendredi 31 mars, à l’occasion d’une conférence de presse précédent le comité de pilotage restreint du plan Do Kamo. « C’est une approche globale de la personne et de ses besoins sanitaires, mais aussi sociaux ou encore nutritionnels, détaille-t-elle. C’est un concept holistique qui vise à agir sur un parcours de vie. »

Ça, c’est pour la politique à long terme. Un enrobage ambitieux, mais qui n’a pas véritablement de corps. Il s’agit pour l’instant plus d’un squelette que d’être épanoui et bien portant. Et notre système va difficilement pouvoir tenir avec des formules et des concepts. Ce qu’il lui faut : de l’argent frais. Olivier Sudrie, le macro-économiste auquel a recours le gouvernement depuis maintenant quelques années, n’y va pas par quatre chemins. En termes de dépenses supplémentaires, cela représente des recettes à trouver de l’ordre de cinq milliards de francs d’ici la fin de l’année (pour des dépenses globales de l’ordre de 100 milliards de francs). Les dépenses de santé croissent au rythme de soutenu de 7 % par an ce qui fait doubler leur montant tous les dix ans. « Le modèle s’essouffle, estime le macro-économiste. On est au croisement des deux courbes où les dépenses sont en croissance alors que les recettes diminuent. Il faut changer de modèle économique, c’est la base. Sans cela, pas de changement. » Au total, il faudra trouver entre 150 et 200 milliards de francs d’économie.

« Responsabiliser les Calédoniens »

Quelles sont les pistes pour les exécutifs ? La première et la moins populaire est le recours aux prélèvement obligatoires. Pour trouver de nouvelles recettes, il suffit de déplacer quelques curseurs fiscaux ou élever un peu les cotisations sociales. Un levier que les politiques assurent ne plus vouloir toucher, estimant que les Calédoniens sont suffisamment pressurisés en termes d’impôts. En dehors de l’outil fiscal, il reste deux options principales. La première est d’appliquer le ticket modérateur (lire par ailleurs) dont le principe consiste à faire prendre en charge une partie des soins par le patient, en particulier pour les longues maladies qui représentent 35 % des dépenses de santé.

La volonté de « responsabiliser » du gouvernement peut se traduire plus simplement par le fait de faire payer les patients. En gros, cela revient à un transfert de charges du système à l’usager. Au comité de pilotage du plan Do Kamo en décembre 2016, les acteurs avaient pris trois résolutions : prévenir les conduites à risque, pérenniser le système de santé et favoriser la santé communautaire (en travaillant par exemple davantage sur la pharmacopée calédonienne). Depuis, les membres du comité planchent sur les mesures concrètes à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs et, selon Valentine Eurisouké, ils devront rendre leur copie au Congrès en août.

Et le ticket modérateur sur les longues maladies est une piste sérieusement envisagée. Différentes versions sont envisagées, de la plus « extrême » à la plus souple. La version plutôt intermédiaire, défendue par Olivier Sudrie, est progressive, c’est-à-dire que les revenus les plus hauts auront un ticket modérateur plus élevé. Les économies réalisées seraient de plus de cinq milliards de francs. Mais la mesure serait lourde de conséquences. Au-delà de 350 000 francs, les personnes devront prendre en charge près de 20 % de leur frais de santé. Un coût énorme qui nécessite d’avoir davantage recours aux assurances complémentaires qui devront en conséquence augmenter le montant des cotisations.

Si l’instauration d’un ticket modérateur peut paraître anodin, il représente en réalité un premier pas vers un « détricotage » du système de financement français de la santé, reposant sur le principe de la solidarité. La privatisation du système de santé, qui place les assurances complémentaires au centre du dispositif, conduit à fragiliser l’accès aux soins pour les personnes aux revenus les plus faibles et à une surveillance accrue des conduites à risque par les assurances, toujours plus intrusives dans la vie privée.

Se donner les moyens de ses ambitions

Les conduites à risque sont un autre problème de fond en Nouvelle- Calédonie et sont inscrites comme prioritaire dans le plan Do Kamo. L’idée est d’insister sur la sensibilisation. « La meilleure façon d’ajuster les dépenses, note Claude Gambey, le directeur de cabinet de Valentine Eurisouké, est de ne pas en faire. » Un volet qui pourrait permettre 80 milliards de francs d’économie sur dix ans. Si l’idée est séduisante, il faudra se donner les moyens de ses ambitions et être patient pour en mesurer les effets. Aujourd’hui, sans même parler de la qualité des campagnes et de leurs résultats, la prévention représente à peine 1 % des dépenses de santé.

L’autre piste, moins contestée que le ticket modérateur, pour contenir les dépenses est de fixer une enveloppe et de réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs. Ces derniers devront proposer des économies. Si cela ne suffit pas, le gouvernement aura alors la tâche de fixer les économies à réaliser par postes pour que les dépenses rentrent dans l’enveloppe. Chacun sera ensuite renvoyé à ses responsabilités et les remboursements ne seront plus pris en charge une fois le montant fixé atteint.

Dans tous les cas, le portage politique devra être fort pour impulser cette révolution sanitaire. D’autant plus fort même qu’elle devra être conjointe à une réforme économique de fond. Autant dire que la partie est loin d’être gagnée.


Des taxes sur les produits nocifs

S i Olivier Sudrie estime que les Calédoniens sont plutôt en bonne santé, même si la situation est perfectible, certains indicateurs ne laissent rien augurer de bon pour la suite. C’est notamment le cas pour le surpoids et l’obésité, ainsi que le diabète. On peut retenir un seul chiffre, 54 % des Calédoniens sont en surpoids ou obèses. Le gouvernement travaille sur la possibilité d’instaurer des taxes sur les produits nuisibles. Cette option a déjà fait l’objet de plusieurs propositions de groupes politiques sans que les élus du boulevard Vauban ne parviennent à trouver un accord. La charge a donc été confiée au gouvernement de proposer un texte sur la question. Du côté des industriels, autant dire que l’on voit plutôt d’un mauvais œil la mesure. Et si l’on se dit volontiers acteur responsable, les négociations ne sont pas simples. Plutôt que d’instaurer une taxe qui ferait augmenter le prix des boissons alcoolisés, il a, par exemple, été proposé de réduire le taux d’alcool. Ce qui pourrait juste se traduire par… une augmentation de la consommation.


Le ticket modérateur, une vieille idée impopulaire

Le ticket modérateur n’est pas simplement une idée, c’est un arrêté qui a été voté en 2001 par la province des Îles. Son montant est fixé à 10 % pour une grande partie des soins et des prestations prises en charge. L’arrêté précise toutefois que les personnes bénéficiant de l’aide sociale (les personnes âgées, les adultes et enfants handicapés et de la protection à l’enfance) sont exonérées. Cet arrêté n’a jamais été appliqué, et pour cause, une grande partie des acteurs sont contre l’instauration de cette mesure.