« Il faut que les femmes sachent qu’il existe des solutions à leurs problèmes »

Une convention vient d’être signée entre la province Sud et l’association Case juridique kanak. L’ACJK, qui œuvre déjà dans le Nord et les îles Loyauté, va proposer une aide aux femmes du Sud relevant du droit coutumier, un des axes prioritaires du moment. Rencontre avec Thierry Xozame, président et porte-parole de l’association.

DNC : En quoi consistent ces permanences de l’association Case juridique kanak ?

Thierry Xozame : Elles permettent d’offrir une écoute aux femmes en difficulté, un endroit où nous pouvons répondre à leurs questions sur le droit coutumier et les accompagner juridiquement.
L’intérêt de la permanence est d’avoir un espace d’écoute et de résolution des conflits pour éviter que ces femmes portent leurs fardeaux et ne s’engagent pas dans leurs démarches. En province Nord et dans les Îles, nous nous positionnons dans les centres médicaux sociaux et je peux vous dire que les femmes viennent. Je précise que tout est confidentiel et neutre.

Quelles questions vous posent ces femmes et comment les aidez-vous ?

Elles se demandent, par exemple, comment faire pour entamer une démarche de dissolution de mariage. Durant l’instruction du dossier, on s’assure d’abord qu’un acte coutumier a été signé, de l’autorisation des chefs de clans, des autorités coutumières et ensuite, on lui indique la procédure à suivre. Si un acte coutumier a été pris pour un mariage, un acte coutumier doit être repris pour une dissolution. Nous apportons les contacts des officiers publics coutumiers concernés par cette région et de cette manière, on peut les aiguiller pour trouver des solutions.

Il y a aussi les problèmes de violences. Les femmes qui ont subi des agressions veulent savoir comment faire dans l’immédiat. S’il y a déjà un constat médical, on conseille très rapidement de porter plainte. Ensuite, il y a les questions relatives aux problèmes d’adoption ou de succession coutumière. Nous faisons alors référence aux textes. Nous avons des moyens de résolution à court, moyen et long terme.

Certaines femmes battues souhaitent quitter le clan de leurs conjoints et rejoindre leurs propres familles. Est-ce possible ?

Il y a des cas tragiques qui relèvent évidemment du domaine pénal. Des plaintes sont déposées à la gendarmerie, une instruction est faite.
Après, dans le domaine civil, une femme mariée ne voulant plus vivre dans son clan peut faire les démarches pour pouvoir dissoudre ce lien qui l’unit encore à son clan et dans lequel elle ne se retrouve plus. Il faut qu’elle engage une procédure de dissolution de mariage en discussion avec les autorités concernées. Il n’y a pas de cadre qui emprisonne les gens dans leur situation. On a des éléments pour pouvoir effectivement rendre les personnes « libres » dans le cadre de procédures.

Le droit coutumier est notamment caractérisé par la notion de parole et tout n’est pas forcément écrit… Est-ce une difficulté pour ces femmes ?

Cela n’est pas faux, mais on a quand même un certain nombre de normes, d’actes juridiques et des lois du pays qui permettent de trouver des solutions. Il faut que les femmes sachent qu’il existe des solutions à leurs problèmes. On n’a pas encore fait une étude exhaustive sur le sujet, mais il y a une portion importante de choses qui n’avancent pas en raison de la méconnaissance du droit coutumier ! C’est pour cela que nous faisons tout un travail de communication, de prévention : pour qu’elles puissent se saisir de ces questions. Nous organisons aussi des séminaires avec les professionnels.

Vous dites que le droit coutumier évolue. Est-ce que ces évolutions concernent les femmes ? Sont-elles suffisamment protégées ?

Il faut regarder les études en matière de condition féminine et particulièrement des femmes kanak. Leur situation est compliquée.
Encore une fois, je crois que le droit existe, mais qu’il n’est pas saisi. On peut aussi noter que les choses peuvent prendre beaucoup de temps. L’outil institutionnel n’est probablement pas assez efficace. Certaines autorités n’ont pas de réel pouvoir d’action. Il y a par ailleurs une explosion de compétences en matière de droit coutumier pour la gouvernance et pour le côté pratique. Il y a donc de nombreux obstacles et je crois qu’il y a matière à réfléchir pour simplifier les choses et avoir un lieu unique et défini.

Je pense qu’on a une certaine idée de l’émancipation et une autre qui est beaucoup plus lente, du fait de la culture, des valeurs. Ce qui a changé, c’est qu’on a maintenant plus d’informations, donc ça va dans le bon sens.

Est-ce que les femmes en difficulté n’ont pas une tendance à changer de statut ?

Il y a effectivement une inclination à se dire que si les choses n’avancent pas aussi vite qu’on le voudrait au niveau du statut coutumier, on peut basculer dans le statut de droit commun.

Cela nous interroge sur le fait que le statut coutumier doit être plus protecteur et plus réactif. C’est une question qui est posée à la société calédonienne et aux institutions coutumières. Nous avons en Nouvelle-Calédonie entre 110 000 et 120 000 personnes relevant du statut coutumier, selon les derniers chiffres de l’Isee, dont 60 000 femmes. Cela représente une grande part de la population ! Donc à mon avis, il y a matière à ce que la société civile au sens global s’implique davantage sur ces questions.

C.M.