Européennes : les lignes bougent

Les neuvièmes élections européennes ont été marquées par une hausse globale de la participation (50,5 %), un record depuis 1994. Une tendance qui se vérifie dans la plupart des pays de l’UE, en France, mais pas en outre-mer ni en Nouvelle-Calédonie où les électeurs n’ont jamais été si loin de l’Europe. Politiquement, le scrutin a apporté la perspective d’une nouvelle coalition au Parlement, montré une avancée relative des populistes et une progression des Verts et des libéraux.

  • EN NOUVELLE CALÉDONIE

Si la participation a été favorisée dans certains pays par la tenue de scrutins parallèles, ça n’a pas été le cas en Nouvelle-Calédonie. Après le référendum et les provinciales, les Calédoniens se sont sentis peu concernés par ce scrutin aux enjeux jugés lointains. De fait, l’abstention caracole à plus de 80 %. La participation s’est établie à 19,22 % contre 27,05 % en 2014 (- 8 points). Cette abstention massive a fait le lit du Rassemblement national arrivé en tête du scrutin avec 26,66 % des suffrages. La liste de Jordan Bardella est en tête dans 14 communes sur 33, les communes loyalistes de la côte Ouest dont la capitale (sauf Sarraméa qui a préféré les Verts). Le RN a effectué son meilleur score à Boulouparis (45 %). Cet électorat, toujours mobilisé, a sûrement souhaité réaffirmer son attachement à la Calédonie française, sans concessions. En deuxième position à l’échelle du territoire, on trouve la liste de la majorité présidentielle tirée par Nathalie Loiseau (17,6 %) qui n’est en tête dans aucune commune, mais est tirée par des scores honorables à Bourail, Dumbéa, Farino et surtout Nouméa. Elle devance la liste de François Xavier Bellamy à 13,81 %, les Républicains ne faisant plus ici non plus de miracles sauf à l’île des Pins, où la liste est en tête.

Si le taux de participation tourne autour de 20 % à 25 % dans les communes à tendance loyaliste, il se situe plutôt autour de 10 % dans les communes traditionnellement indépendantistes. Les communes indépendantistes de la Grande Terre ont dans une large majorité favorisé Europe Écologie-Les Verts qui termine en quatrième position à l’échelle du territoire (12,6 %) avec un meilleur score en pourcentage à Canala (35,36 %) et un plébiscite également à Hienghène, Houaïlou, Poum, Thio ou encore Touho. (On notera une exception pour Benoît Hamon à Ponérihouen, Urgence écologie à Pouébo, La France insoumise à Voh et Kaala-Gomen).

Aux Loyauté, l’électorat a préféré Urgence écologie de Dominique Bourg (6,70 % au total) qui n’a pas percé à l’échelle nationale. Cumulés, les votes écologistes – qui sont aussi corrects dans certaines communes à tendance loyaliste – représentent 19,3 % des suffrages calédoniens, en deuxième position derrière le Rassemblement national. Preuve que la population calédonienne est-elle aussi bien sensibilisée au problème.

Les listes en tête sur le territoire

En vert foncé : Europe écologie – Les verts; en vert clair : Urgence écologique ; en violet : Rassemblement national; en bleu : Les Républicains, en rouge La France insoumise, en rose : Générations.

 

  • EN OUTRE-MER

Même s’il a été peu commenté, le vote outre- mer est riche d’enseignements. L’abstention, d’abord, reste toujours beaucoup plus élevée qu’en Métropole (86,59 % en Guyane, 85, 6 % en Guadeloupe…) même si elle est moins importante qu’en 2014. Ce contexte a favorisé, là aussi, une percée du Rassemblement national, cet électorat étant le plus motivé. Le parti de Marine Le Pen arrive en tête dans huit des onze territoires ultramarins ! Une première. La liste de Jordan Benalla obtient son meilleur score à Mayotte (45,56 %). En Guadeloupe, terre de gauche, l’extrême droite est en tête pour la première fois. Le score du RN y a été multiplié par trois depuis 2014 passant de 8,7 à 23,7 %. La Guyane, La Réunion, La Nouvelle- Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint- Barthélemy et Saint-Martin ont aussi choisi le RN. Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Martinique ont de leur côté favorisé la République en marche qui enregistre respectivement 37 %, 43,3 % et 18,2 %.

Ce vote pour le RN doit faire réfléchir. Car s’il peut être lié à un amour éperdu pour la France ou à des problèmes locaux d’immigration (du protectionnisme plus que du racisme) comme à Mayotte ou à La Réunion, il est, à notre sens, plus généralement lié en outre- mer aux difficultés sociales, à la lutte des classes et révèle un ras-le-bol des populations défavorisées qui se sentent délaissées par les pouvoirs successifs. À noter que trois députés ultramarins devraient siéger au Parlement : la Guadeloupéenne Maxette Grisoni-Pirbakas (RN) et les Réunionnais Stéphane Bijoux (LREM), et Younous Omarjee (France insoumise).

  • AU NIVEAU NATIONAL

Que retenir du scrutin au niveau national ? Premièrement, on peut souligner le surprenant sursaut de participation des Français à cette élection, à 50,12 % contre 42,43 % en 2014. Les élections européennes ont ensuite aussi été marquées par la première place du Rassemblement national (23,31 % contre 24,86 % en 2014) devant la liste soutenue par la majorité présidentielle (22,41 %). On retiendra également la troisième place surprise des écologistes sur le podium. Europe écologie-Les Verts obtient 13,47 % (contre 8,95 % en 2014). Les Européennes sont toujours de bonnes élections pour les Verts, mais ils ont visiblement bénéficié cette fois d’un soutien inédit de la jeunesse.

Le scrutin marque, en revanche, une cinglante défaite pour Les Républicains qui dégringolent à 8,48 % (l’UMP avait fait 20,81 % en 2014) et la France Insoumise à 6,31 % qui n’a pas su capitaliser sur son score des présidentielles (19,58 %) égarant plus de 5 millions d’électeurs. Le PS, enfin, tombe à 6,19 % contre 13,98 % en 2014 lorsqu’il ne formait encore qu’un… C’est son plus mauvais résultat à l’échelle européenne. Et puis on notera tout de même la déroute des listes se revendiquant des Gilets jaunes. Chaque formation est en train de tirer les enseignements de cette élection. Marine Le Pen sait que sa stratégie d’opposition au « macronisme » a payé. Elle a demandé « au minimum » la dissolution de l’Assemblée nationale compte tenu du « désaveu démocratique subi ». LREM, de son côté, préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. La majorité présidentielle se satisfait de ce « score honorable » en plein exercice du pouvoir. Mais des interrogations demeurent sur le manque de souffle de cette campagne alors qu’Emmanuel Macron a fait de la question européenne une priorité.

Chez Les Républicains, Laurent Wauquiez est très fragilisé. Puisqu’il ne peut être renvoyé, plusieurs cadres demandent sa démission, un geste qui serait logique selon la tradition gaullienne, dixit le puissant président du Sénat, Gérard Larcher, qui souhaite réunir les ténors de la droite et reconstruire un projet qui rassemble la droite et le centre. Mais ce n’est pas le chemin que semble vouloir prendre Laurent Wauquiez. Il a pour l’heure proposé de tout remettre à plat grâce à des États généraux. Des questionnements émergent aussi au sein de la France insoumise où des voix s’élèvent pour fustiger la ligne « clivante » de Jean-Luc Mélenchon.Au Parti socialiste, on réfléchit également. Certains voudraient voir le retour de l’ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, et François Hollande, on le sait, s’est toujours dit « prêt à servir son pays en cas de nécessité »…

Au niveau européen, on peut souligner que les élus français ont vu leur nombre se réduire dans les groupes dominants du Parlement (PPE, S&D). Les Républicains ne pourvoient que 7 députés au PPE (Parti populaire européen / Centre droit), contre 15 auparavant. Le Parti socialiste fait encore moins bien, passant de 13 à 6 députés au sein du S&D (alliance progressiste des socialistes et démocrates). Cette donne pourrait signifier une influence réduite à Bruxelles notamment pour pouvoir négocier les postes à responsabilité. Mais le pouvoir français sera en revanche renforcé au sein de l’ALDE (Alliance des démocrates et libéraux) troisième force politique qui bénéficiera des 21 sièges de La REM ou chez les Verts dont la France est l’un des plus gros pourvoyeurs. Ces partis auront une influence grandissante au Parlement européen surtout s’ils forment une alliance. Chez les eurosceptiques, enfin, Marine Le Pen a affiché son ambition de constituer un « super groupe » que le Rassemblement national piloterait avec la Ligue italienne de Matteo Salvini et qui rassemblerait les partis souverainistes.

  • EN EUROPE

À l’échelle du continent, maintenant, on peut retenir que la participation a été historique. Plus d’un citoyen sur deux en âge de voter s’est déplacé aux urnes (50,94 %), le plus haut score en vingt ans. Vingt des vingt-huit pays membres de l’Union ont vu leur électorat se mobiliser davantage qu’en 2014, avec des gains parfois impressionnants, comme en Allemagne (+ 13,4 points), en Roumanie (+ 16,6 points) ou encore en Pologne (+ 19,2 points). Le record revient à l’Espagne, où la participation est passée de 43,8 % en 2014 à 64,3 %. On a beaucoup parlé de l’Europe avec le Brexit. Peut-être cela a-t-il eu un effet sur la participation. Tout comme l’urgence écologique, on le verra.

Ensuite, les élections européennes ont concrètement mis fin à quarante ans de majorité absolue pour les deux principales formations du Parlement notamment à cause de résultats catastrophiques en France et en Allemagne. Les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) passent de 216 à 178 sièges, selon les projections, et les sociaux-démocrates du S&D de 185 à 147. Cette perte d’influence les privera de la possibilité de cogérer le travail législatif comme ils en avaient l’habitude. Les centristes libéraux de l’ALDE (101 contre 69 en 2014) deviennent la troisième force politique du Parlement. (C’est là que figurera la liste Renaissance d’Emmanuel Macron). Et puis les Verts réalisent une très belle percée (70 contre 52 sièges en 2014), l’urgence climatique s’imposant comme un enjeu crucial notamment auprès des jeunes. Ils ont atteint 20,9 % en Allemagne, 12 % en France, dépassé les 10 % en Autriche, en Irlande ou encore aux Pays Bas. Les écologistes et les libéraux entrent en course pour former une coalition éventuelle. La majorité au Parlement européen nécessite 376 élus sur 751. Plusieurs scénarios sont envisageables (PPE, S&D, Les Verts/PPE, S&D, Libéraux…) et les deux nouveaux « faiseurs de rois » peuvent mettre dans la balance leurs exigences pour la désignation des présidents de la Commission, du Parlement et du Conseil.

Par ailleurs, c’est un élément essentiel, la vague extrémiste attendue a été contenue. Les forces populistes et eurosceptiques arrivent en tête en France, en Italie, en Pologne. La progression est notable en Belgique, en Espagne, en Hongrie, au Royaume Uni, en Suède ; elle stagne en Allemagne et diminue en Autriche. Mais des déconvenues sont à noter aux Pays-Bas, au Danemark… Les trois groupes eurosceptiques de l’hémicycle, Europe des nations et des libertés (ENL) de Marine Le Pen et Matteo Salvini, les Conservateurs et réformistes européens (ECR) et l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD)occupent à eux trois 173 sièges contre 155 en 2014. Mais sont pour l’instant divisés.

Un nouveau cycle s’ouvre au Parlement. Les pro-européens sont toujours en majorité, reste à savoir comment ils parviendront à s’entendre pour gouverner.

C.M.