Ensemble, au chevet du corail

Protéger 75 % des récifs coralliens dans les outre-mer français d’ici 2021 dans un contexte de pression accrue, c’est l’objectif que s’est fixé l’État.La mission est confiée à l’Ifrécor, Initiative française pour les récifs coralliens, dont les acteurs, issus des collectivités concernées, sont réunis cette semaine à Nouméa et Deva. 

Avec près de 57 000 km2 de surface de récifs coralliens, soit 10 % des récifs mondiaux, la France et les outre-mer ont conscience qu’ils jouissent d’une chance exceptionnelle.
Ces écosystèmes sont parmi les plus riches et les plus productifs de la planète et rendent un service essentiel aux populations via la protection des littoraux, la filtration des polluants, la régulation du climat, le tourisme ou encore la nourriture. Imaginez… On estime à plus de 155 milliards de francs, la valeur annuelle des services rendus par ces écosystèmes aux ultramarins ! La responsabilité est d’autant plus lourde pour la préservation de ces milieux exceptionnels menacés par les activités humaines, le développement accéléré des zones côtières et le changement climatique.

Changement climatique et coopération régionale

Faire face à ces dangers, c’est la raison d’être de l’Ifrécor, qui œuvre depuis quinze ans via ses comités locaux en faveur de la protection et de la gestion durable des récifs et des écosystèmes associés. Concrètement, il s’agit de promouvoir au plan local, national et international le développement de réseaux de surveillance, le partage des technologies et des savoir-faire, de contribuer à réduire les menaces d’origine humaine, de surveiller l’évolution de l’état de santé des écosystèmes dans le temps, de diversifier les financements dédiés à la protection, de développer la prise de conscience, de communiquer et sensibiliser.

En quinze ans, plus de 400 stations de suivi ou observatoires ont été installés, 25 000 espèces répertoriées et une banque de données est en cours d’élaboration à l’échelle nationale. Un nouveau programme quinquennal 2016- 2020 a été entériné. Il repose sur deux fils rouges : le changement climatique et un accent sur la coopération régionale. Réuni à Nouméa et à Deva pour une semaine d’échanges dans le cadre de la 11e réunion du comité national de l’Ifrécor, l’ensemble des comités locaux (regroupant tous les acteurs de la protection et de la gestion durable des milieux en 2016, suite au phénomène de blanchissement des récifs qui a concerné toutes les collectivités françaises des trois océans.

Dès juillet 2015, la NOOA (Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique) donnait l’alerte : avec un phénomène climatique El Nino long et intense, le Pacifique et l’Atlantique allaient subir un stress thermique considérable et les températures allaient être dévastatrices pour les coraux. Ses prévisions se sont révélées exactes. Dans ce contexte, l’Ifrécor a soutenu dans différentes actions de suivi de l’état de santé des récifs et de leur mortalité en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans l’océan Indien avec des résultats très divers.

-En Nouvelle-Calédonie, les températures ont atteint un pic record de + 2 °C par rapport aux trente dernières années en février 2016, avec des UV importants, engendrant un « blanchissement massif et brutal », a rappelé Claude Peyri de l’IRD. Le projet Blanco, mis en place avec différents partenaires, a consisté à documenter le phénomène avec également un suivi participatif de l’association Pala Dalik. 162 espèces ont été touchées sur 400 répertoriées à l’échelle du territoire. Dans les quatre sites d’études de Nouméa (suivi de 2 200 colonies) à la Baie-des- Citrons, à l’île aux Canards, au phare Amédée et à Uitoé, les analyses ont montré que 90 % du corail avait blanchi et que 20 % des coraux étaient morts. Mais heureusement 70 à 80 % des colonies blanchies ont finalement pu récupérer. Le suivi va se poursuivre et il s’agira à l’avenir d’essayer, dans la mesure du possible, de « mieux anticiper les phénomènes via les prévisions de la NOAA ».

– En Polynésie française, qui subit de tels épisodes « tous les trois ou quatre ans », les analyses ont été un « véritable casse-tête ». Comment, en effet, documenter un tel phénomène vu la configuration du territoire étendu sur cinq millions de kilomètres carrés avec 118 îles éparpillées ? Difficilement. 78 % des données ont été relevées par le Criobe, à Moorea, le reste à Tahiti et Rangiroa notamment grâce à la participation citoyenne (Un œil sur le corail). Et les résultats ont été très contrastés. À Moorea, 55 % des colonies observées ont blanchi, mais il y a eu moins de 1 % de perte corallienne. Aux Tuamotu, le blanchissement a été signalé sur 18 îles et les pertes ont en revanche atteint 50 à 70 % sur les colonies, notamment parmi les genres les plus résistants. Laëtitia Hedouin, du Criobe, a précisé que l’anomalie de température avait été deux fois plus élevée aux Tuamotu et que « Moorea a été relativement préservée du gros pic de température ». L’île sœur de Tahiti pourrait se trouver dans un « refuge climatique » et pourrait être moins soumise à l’avenir par les épisodes de blanchissement. La Polynésie française a fait part de la nécessité d’utiliser de nouvelles approches notamment pour intervenir auprès des communautés les plus touchées, qui sont aussi les plus isolées.

– Dans l’océan Indien, où cinq phénomènes de blanchissement ont eu lieu depuis 2002, le projet Becoming a été mis en place durant la saison humide 2016. Un suivi sous-marin et par satellite a été effectué à La Réunion, Mayotte et sur les îles Éparses avec là encore des réponses extrêmement variées : 30 % de mortalité à Mayotte, 20 % aux îles Éparses, 10 % à La Réunion. Les comparaisons effectuées par données satellites ont bien fonctionné, mais sur des zones peu profondes. Jean-Benoît Nicet, du Marex, a insisté sur la nécessité de ne pas se focaliser sur le blanchissement, mais plutôt sur la mortalité, la résilience des coraux étant très importante.

À l’échelle nationale, Aurélie Thomassin, du ministère de la Transition écologique et solidaire, a salué la mobilisation rapide et dans l’urgence des comités locaux Ifrécor. Les suivis ont ainsi permis, selon elle, de « dresser une image claire du phénomène dans chaque territoire touché ». Mais la diversité des protocoles, a-t-elle ajouté, rendent compliqués les diagnostics à l’échelle nationale. « Il y a un réel besoin de structuration et de coordination des suivis. » Force de ce constat, un appel d’offres a d’ailleurs été lancé en 2017 pour élaborer un protocole de suivi à l’échelle de l’outre-mer qui devrait imposer des niveaux d’analyses communs et cohérents avec les protocoles déployés au niveau mondial. Ce travail a été confié à un consortium de spécialistes (IRD, Criobe, Université de La Réunion, chercheurs et bureaux d’études de tous les océans). Leurs premières propositions seront présentées vendredi et un document final sera rendu public en décembre, à la conférence de l’ICRI, Initiative internationale pour les récifs coralliens, à Nairobi, au Kenya.

©IRD


L’exemple australien

David Washerfield, représentant du GBRMPA, Great Barrier Reef Marine Parc Authority’s, est venu présenter, à Nouméa, l’état de santé de la Grande Barrière de corail, ainsi que les méthodes de suivi entreprises en Australie lors des derniers épisodes de blanchissement en 2016 et 2017. « La grande barrière n’est ni morte, ni en bonne santé » a t-il résumé.

Les récifs ont été observés par voie satellite, aérienne et en plongée avec une implication importante des opérateurs de tourisme. Les anomalies de température et le stress généré ont surtout concerné la partie nord de la Grande Barrière où la mortalité est allée jusqu’à 83 %, contre 1 % dans le sud. Le blanchissement sévère a été observé jusqu’à 30 mètres de profondeur.

Mais si les médias en particulier ont insisté sur le blanchissement de cette barrière, il faut, selon lui, ne pas occulter l’impact des cyclones, dévastateurs pour les récifs. « Et sur la Grande Barrière, il n’y a pas une parcelle de corail qui n’a pas été affectée par le blanchissement ou un cyclone ces dernières années. »

Le scientifique d’ajouter que de fait, le recouvrement corallien est à son plus bas depuis 2012 et que « de plus en plus de touristes sont déçus de ce qu’ils voient ». Mais il s’agit selon lui de rester positif : la zone est immense et le corail résilient.
L’Australie étudie également « très précisément » les impacts de l’homme sur la barrière, l’effet cumulé de toutes ces pressions, l’impact sur les poissons et les industries de pêche notamment de truites.


Bon point pour les Aires de gestion éducatives

Dans le cadre de ses missions, l’Ifrécor aide au fonctionnement des Aires de gestion éducatives (AGE). Un tel projet
expérimental est porté en Province Sud par la Direction de l’environnement. Ainsi, depuis deux ans, des AGE ont été mises en place au sein de plusieurs établissements scolaires. Elles sont gérées par les élèves, leurs professeurs, en partenariat avec les usagers, les associations, les organismes de recherche et les collectivités territoriales. Des élèves du collège Mariotti sont gestionnaires du platier Ricaudy (avec les CM2 d’Éloi-Franc), des élèves du collège de Kaméré ont en charge une parcelle de forêt sèche (avec des CM2 de Gustave-Lods) et des élèves de Saint-Pierre Chanel à la Conception s’occupent d’une mangrove. Au même titre que les gestionnaires des aires protégées, les élèves ont établi des diagnostics, apprécié les menaces pesant sur les écosystèmes et mis en place des plans d’action. En ce qui concerne le corail, à Mariotti, les enfants ont effectué six sorties et aussi découvert les méthodes de suivi utilisées à l’île aux Canards. Ils ont imaginé pour « leur platier » un panneau de sensibilisation, échangé sur leurs projets avec les autres élèves de l’établissement. Le retour est très satisfaisant et le dispositif pourrait s’étendre. 200 000 francs sont consacrés au dispositif AGE par an et par établissement. 15 associations sont partenaires.


Tara est là !

La goélette scientifique, arrivée cette semaine à Nouméa, a quitté Lorient en mai 2016 pour une expédition d’une ampleur inédite sur le Pacifique, l’océan le plus vaste de la planète. Elle doit ausculter la biodiversité des récifs coralliens du Pacifique et comprendre leur évolution face au changement climatique et aux pressions anthropiques. Elle va faire, cette semaine, l’objet de visites scolaires et publiques. Puis elle partira vers les récifs d’Entrecasteaux dans l’extrême nord de la Grande Terre du 30 septembre au 14 octobre. Ce site isolé et préservé, inscrit au patrimoine de l’Unesco, fait partie du parc naturel de la mer de Corail et représente une véritable région sentinelle écologique des récifs calédoniens qui permettra aux sept scientifiques et étudiants de mieux comprendre la structure et le fonctionnement de ces récifs. Il s’agira aussi d’étudier le rôle fonctionnel des oiseaux marins sur l’écosystème corallien et d’analyser des maillons de la chaîne alimentaire récifale dans un milieu peu impacté par l’homme.

C.M.