Emmanuel Macron nous donne à réfléchir

French President Emmanuel Macron delivers his speech at the Theatre de l'Ile in Noumea, New Caledonia, on May 5, 2018, at the end of his three-day visit to the French overseas territory. / AFP PHOTO / Ludovic MARIN

Durant sa visite de trois jours en Nouvelle-Calédonie, à six mois du référendum, le président de la République a mis en lumière un chemin pour l’avenir en donnant les clés aux Calédoniens, en prenant garde de ne pas trop s’immiscer dans le vote tout en suggérant que la France a encore beaucoup à apporter dans la région. Un exercice mené habilement…

On ne pourra pas dire qu’on s’attendait exactement à cela. Emmanuel Macron a pris de court la Nouvelle-Calédonie. Le président de la République a effectué ici une visite qui n’a ressemblé à aucune autre. Dans le style d’abord : dynamique, franc, plutôt courageux et se voulant séduisant. De Bir- Hakeim, à Koné en passant par Montravel et Ouvéa, la réponse des Calédoniens à ce jeune Président, roi des selfies, a été plutôt positive.
Dans le fond ensuite : après deux quinquennats bien creux du côté de l’Élysée, en particulier en ce qui nous concerne, ce chef de l’État est venu apporter une vision concrète pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Pourtant, l’affaire n’était pas gagnée. De nombreux questionnements s’étaient posés les semaines précédant sa visite. Les uns critiquaient sa venue à Ouvéa en plein 5 mai ou s’insurgeaient qu’il ne vienne pas au Sénat coutumier, d’autres estimaient qu’on allait « larguer » la Nouvelle-Calédonie avec, en guise d’au revoir, son acte de prise de possession. D’autres ont organisé une marche « bleu blanc rouge » arguant que sa visite était « déséquilibrée » au profit du peuple premier. L’élaboration du programme du Président, il est vrai, n’a pas été une mince affaire et il est resté longtemps porteur d’ambiguïtés. Même s’il n’a pas pu aller partout où il était attendu, Emmanuel Macron et son équipe, en fins communicants, sont parvenus globalement à rectifier le tir et, peu à peu, le message qu’était venu porter le chef de l’État s’est dévoilé.

Racines

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Le Président a souhaité, nous l’avions vite appris, placer cette visite dans un « temps mémoriel » et consacrer des moments importants de notre histoire partagée « faite d’ombres et de lumières » pour se « décharger d’un passé parfois devenu fardeau » pesant « comme un couvercle ». Il a d’abord fait le choix de se rendre à Ouvéa et n’a pas reculé, malgré la difficulté et les mises en garde. Malgré une séquence mal amenée, en particulier pour les familles de Gossanah mises devant le fait accompli et repoussées le jour J, il aura réussi a ce qu’on retienne qu’il s’est tenu en retrait lors de la cérémonie organisée sur la tombe des 19, jouant la carte du respect et de l’humilité. Un incroyable accueil lui a aussi été réservé par les populations à Wadrilla : des sourires en symbole de résilience envoyés à la vue du monde entier. Une bien belle image de la Nouvelle-Calédonie.

L’histoire a également été consacrée au centre culturel Tjibaou. 30 ans après la signature des accords de Matignon, 20 ans après l’Accord de Nouméa et l’inauguration du centre culturel, 18 ans après Melanesia 2000, le président de la République s’est exprimé devant l’ensemble des grands chefs coutumiers du pays. « Nous n’avons pas peur de la République. Monsieur le Président, n’ayez pas peur de la coutume », lui a dit Hilarion Vendégou, secouant le jeune Président… et lui de répondre qu’il n’avait « pas peur ». Puis il a remis à la Nouvelle-Calédonie les deux actes de prise de possession, signés au nom de la France, les 14 et 29 septembre 1853, à Balade et Kunie. Ce « geste » préalablement discuté, a été précisé et sa valeur officielle légèrement minimisée : le don est devenu un dépôt d’archives. Mais la symbolique est restée : « Je voulais signifier que nous ne sommes plus au temps de la possession, mais au temps des choix et d’une prise de responsabilité collective », à quelques mois d’un référendum durant lequel « une communauté va choisir ».

Il a aussi été question d’histoire au Sénat coutumier où s’est finalement rendu Emmanuel Macron. Les responsables ont fait part de leurs craintes que la langue, au cœur d’une culture et d’une civilisation, soit anéantie. Au Président d’insister sur la légitimité ancestrale, le devoir de « garder cette tradition » pour la jeunesse tout en réussissant à se projeter dans la modernité. Les sénateurs lui ont remis leurs doléances sur la reconnaissance des « crimes contre l’humanité » et la mise en œuvre d’un « plan de résorption des effets du traumatisme de la colonisation ». Emmanuel Macron a bien évoqué, lors de son discours, les douleurs de la colonisation avec la « ségrégation » des Kanak « sans terre, sans droit, sans service public, sans honneur », il a aussi dit que leur combat pour retrouver leur dignité était « juste ». Mais il aura repoussé toute repentance explicite lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie.

Et dans un esprit d’apaisement et d’unité, il aura finalement rendu hommage à toutes les composantes de la société, en élevant Jean-Lèques, défenseur de la Nouvelle-Calédonie dans la France depuis les premières heures, au rang de grand officier de la Légion d’honneur ou encore en citant toutes les communautés dans son discours final, des Tonkinois aux hommes venus du reste du Pacifique en passant par les harkis et les pieds-noirs. Il a intégré l’histoire chahutée, les ressentiments, les rancœurs et la colère, mais il en a appelé à notre capacité à ne pas ressasser un passé, mais plutôt à reconnaître la place de chacun en « une alliance des mémoires qui seule permet de regarder sereinement vers l’avenir ».

Un choix adulte

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Durant son périple, Emmanuel Macron ne s’est pas étendu sur la consultation du 4 novembre. Il a néanmoins rappelé le processus qui nous y a mené : la main tendue entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, les accords « de sagesse », les nouvelles institutions, la reconnaissance des deux drapeaux. Un parcours lent, exigeant, fait de soubresauts et d’étapes durant lesquelles « à chaque fois nous en sommes collectivement sortis grandis », a-t-il estimé. À ceux qui souhaitaient éviter le référendum couperet, « séparant toujours le oui du non », il a répondu que celui-ci n’était pas un échec, mais le « cheminement prévu », le « respect de la parole donnée ».

Il a par ailleurs répété la formule désormais consacrée : que l’État était pleinement engagé dans la sincérité du scrutin, citant ce qui avait été réalisé : la stabilisation du corps électoral, la formulation de la question, la promulgation de la loi organique adaptant les règles de procuration et les bureaux de vote délocalisés. Le Président a confirmé que le scrutin se ferait sous le regard attentif des Nations unies.

Sur le fond, Emmanuel Macron a expliqué ne pas vouloir prendre position. « Ce n’est pas au chef de l’État de prendre position sur une question qui n’est posée qu’aux seuls Calédoniens et une telle position d’ailleurs ne ferait que perturber et biaiser le débat. » D’ailleurs, « la souveraineté dans la souveraineté », citée à l’aéroport, a laissé place dans son discours final à « un choix souverain », « dans la souveraineté nationale ». Un choix « adulte » à faire dans la « responsabilité ». Il a ainsi encouragé à l’acceptation du débat pour que le choix s’exprime dans le calme « en ne bégayant jamais ». Ce faisant, il a incité à ne pas penser aux échéances qui viendront ensuite, celles de la vie politique, et de voir le référendum comme une étape qui ne doit en rien diviser. Il a rappelé aux Calédoniens que quel que soit le résultat, ils continueraient « à être les mêmes, sur le même archipel avec les mêmes histoires, les mêmes imaginaires, les mêmes habitudes, les mêmes amis, les mêmes ennemis », mais qu’ils continueraient « à vivre ensemble ».

Au-delà du récif

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Si le Président n’a pas donné sa préférence, il n’aura échappé à personne qu’il l’a suggérée tout au long de son voyage dans le Pacifique. Depuis l’Australie jusqu’en Nouvelle- Calédonie, il a expliqué sa stratégie Indo- Pacifique : un axe reliant Paris, New Delhi et Canberra et se « prolongeant » aux territoires français. Selon le Président, « la grande bascule » qui s’opère dans la région, avec le repositionnement de la Chine et sa « volonté d’emprise », le recul également des États-Unis qui ont dénoncé l’accord commercial en vigueur et « tourné le dos à la lutte contre le réchauffement climatique » peut inquiéter, mais il faut la regarder avec réalisme.

Dans ce contexte, la France propose d’apporter un « équilibre » des forces par une stratégie conjointe avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde… de contrer en quelque sorte une hégémonie qui « réduira nos libertés, nos opportunités », et de construire, a-t-il dit « la liberté de notre souveraineté ». Dans les grandes lignes, il s’agira d’assurer la liberté de circulation dans les mers, les airs, la neutralité des points de passage, la sécurité collective, d’articuler les défenses, l’organisation des armées, la cybersécurité ou encore de mettre en place un guichet unique et des financements pour faire face au changement climatique.

Si la France peut proposer cela, c’est bien grâce à sa présence dans le Pacifique et ses territoires, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, ses plus d’un million et demi de concitoyens et 8 000 militaires déployés. La France est le dernier pays européen du Pacifique après le Brexit et les trois quarts de la présence maritime française se trouvent ici et en font la deuxième puissance maritime au monde. Et c’est pourquoi le Président insiste sur la place que ce territoire peut occuper « dans une stratégie plus large que nous devons avoir dans la région ».

Dans cet axe, estime-t-il, la Nouvelle-Calédonie pourrait être plus prospère, en portant une ambition commerciale par le nickel, l’export, la transformation industrielle, l’agriculture, le bois, le tourisme, l’énergie, la pêche, les énergies marines renouvelables, les filières numériques, les innovations dans la lutte contre le réchauffement climatique… Cet axe serait porteur pour la formation de la jeunesse, la réduction des inégalités. Emmanuel Macron va jusqu’à voir « une société exemplaire dans tout le Pacifique », qui aurait à la fois « le meilleur de l’histoire ancestrale » et « ce que doit produire l’histoire et l’actualité de la République française ».

Habile

En quelques jours, le président de la République a montré à la Nouvelle-Calédonie tout ce qu’elle avait accompli, dans quel but, lui rappelant le chemin vers lequel elle se dirige depuis plus de 20 ans. Outre cet axe, il n’a en effet rien inventé, c’est bien ce qui est en construction depuis des décennies : une émancipation avec ou dans la France, selon les positions. Et son évolution, la Nouvelle-Calédonie la doit surtout à elle-même.

Si l’on devait résumer son propos, il s’agirait de dire que le temps des décisions unilatérales est terminé, que la Nouvelle Calédonie peut désormais choisir son avenir. On va effectivement poser la question sur l’indépendance, mais le contexte n’étant plus le même, il faudra choisir des partenaires. Et à ce jeu, Emmanuel Macron aura tout fait pour convaincre la Calédonie de la préférer à d’autres en lui assurant une protection contre la « colonisation chinoise », en lui proposant un avenir ambitieux qui serve ouvertement les intérêts de tous.

C.M.

©Ludovic Marin/AFP