Elles « balancent » les violences

Une cinquantaine de personnes vêtues d’orange ont marché mercredi contre les violences à l’égard des femmes à l’occasion de la Journée internationale proclamée par l’Onu le 25 novembre. En Calédonie, de façon marquée, le chemin vers le bonheur est encore long pour de nombreuses femmes…

Les chiffres sont accablants et nous valent le triste titre de champions de France : sur le territoire, une femme sur quatre est victime de violences et une sur huit a subi des attouchements sexuels ou un viol avant l’âge de 15 ans.
Les femmes sont plus en danger dans la sphère conjugale et familiale (80 % des cas). Le taux de violences conjugales (30 %) est de fait trois fois plus élevé qu’en Métropole et les violences physiques et sexuelles dans le couple touchent 22 % des femmes. Et ce n’est pas tout, victimes de la loi du silence, 95 % d’entre elles ne portent pas plainte.

Pire, il est à craindre que la situation soit plus grave que cela. Les dernières données datent en effet de 2002 (Inserm) et l’on sait, par exemple, que sur la seule année 2016 les coups et les blessures volontaires, à 80 % destinés aux femmes et surtout dans la sphère intrafamiliale, ont augmenté de 7,21 %. Il y a quelques semaines le procureur de la République s’insurgeait en évoquant des faits « épouvantables » et « de plus en plus graves ». « On parle de coups de poing, de coups de pied dans la tête, de sabres d’abattis que l’on fait chauffer et que l’on place sur le corps des victimes. Ce sont des choses effrayantes. Et il n’y pas ou peu de dénonciations qui émanent de la famille ou des voisins », disait Alexis Bouroz.

À l’écoute

Face à ce terrifiant constat, il s’agissait mercredi de marcher en orange (couleur décrétée par l’Onu), pancartes à la main pour dénoncer « l’alcoolisation massive » qui mène souvent à ces actes horribles, dénoncer la « domination » des hommes, les violations des « droits de la personne » et cette idée que nous avons « tous droit au bonheur » et qu’il faut casser ces spirales familiales qui se reproduisent de génération en génération. Et il s’agissait aussi et surtout d’inciter les victimes à ne plus se taire, à « briser les tabous ».

Symboliquement, le chemin de cette manifestation retraçait le parcours malheureusement « périlleux » des victimes de violences depuis les locaux des forces de l’ordre jusqu’aux différents foyers. Un parcours qui est trop rarement entrepris, encore moins mené jusqu’à son terme, les femmes n’osant pas encore suffisamment s’exprimer par peur de représailles, de culpabilité… « L’idée était d’éclairer les femmes sur ces démarches, leur dire de s’exprimer et que leur situation n’a rien de normal », souligne Rolande Trolue, collaboratrice de Dewé Gorodey au secteur de la condition féminine du gouvernement, à l’origine de cette manifestation.

Parmi les stops, le foyer Béthanie et le Relais de la province Sud, structures essentielles d’hébergement médico-social des femmes en difficulté, mais également la police et la gendarmerie qu’il s’agissait de « désacraliser » pour que les femmes s’y rendent sans appréhension. Il a ainsi été question du BAV, bureau d’aide aux victimes, de la police qui fait appel à des assistantes sociales et travaille en relais avec les associations. Ou des référents VIF, violences intra-familiales, formés et désormais présents dans chaque brigade de gendarmerie du territoire pour l’accueil et la prise en charge des victimes. À noter également la participation à cette journée de l’Adavi, l’Association au droit et d’aide aux victimes qui offre au sein du tribunal des permanences juridiques et psychologiques et contacte désormais toutes les victimes qui doivent passer en correctionnelle pour violences et les accompagnent quand elles le souhaitent.

Manque de moyens et d’investissement du territoire

L’évolution de la Nouvelle-Calédonie est trop lente face l’ampleur du phénomène. Il est indéniable que les autorités ont failli à appréhender ce sujet au fil du temps, à en faire une priorité. Pourtant, comment un pays peut- il aller bien, comment une jeunesse peut-elle être épanouie dans de telles circonstances en particulier familiales ?

Évidemment, des actions sont organisées tous les ans, pour nous rappeler à l’ordre sur ce fléau (Journée de la femme, Ruban blanc…) et elles sont nécessaires. Mais comme l’avait relevé le procureur Bouroz, il y a toujours une insuffisance très nette des structures d’accueil pour les victimes, voire les hommes violents en Nouvelle-Calédonie. Et comme l’a dit Yolande Trolue, tous les pans de la société, les autorités coutumières, les associations, le patronat, l’éducation, doivent travailler ensemble pour traiter ce phénomène.

Les choses bougent peu à peu au sein des institutions. Plusieurs dispositifs et structures du plan triennal de la province Sud ont ainsi été présentés comme le Cauva, Centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions, au Médipôle, l’expérimentation du TGD, « Téléphone grave danger », ou encore une structure pour les agresseurs. Dans les tribus et Maisons de la femme en particulier dans les Îles, on travaille pour avancer, mais il y a encore un manque flagrant de moyens humains et financiers.
C’est dire, il aura fallu attendre quinze ans pour arriver à espérer obtenir de nouveaux chiffres sur le sujet des violences faites aux femmes grâce à l’extension de l’enquête Virage, menée en Métropole sur les violences et rapports de genre. On peut aussi regretter de n’avoir pas vu plus de gens manifester dans la rue.


Changer les mentalités à l’école

L’égalité entre les femmes et les hommes est un principe fondamental inscrit dans la Constitution et dans les textes nationaux, européens et internationaux. Et la prise en compte de l’égalité entre les filles et les garçons figure parmi les priorités du projet éducatif de la Nouvelle-Calédonie. « Des dispositifs très pointus ont été mis en place pour renforcer le respect mutuel entre les garçons et les filles avec un travail de fond mené par les personnels éducatifs », relève Véronique Mollot-Lehouiller, la référente académique au vice-rectorat de la mission « Prévention des discriminations et égalité filles garçons » et pilote du dispositif Comité 3 E (Éducation à l’égalité à l’école) créé en 2014.

Ce comité vise à engager une réflexion dans les établissements sur le statut de la femme, et particulièrement celui de la femme océanienne, à sensibiliser les jeunes aux stéréotypes véhiculés dans la sphère privée et publique (école, médias, travail…) et les aider à les déconstruire, à élaborer des outils, à mettre en place des stratégies pour promouvoir l’égalité des genres : une égalité de droits pour une égalité des chances. Selon la référente, « la parole se libère déjà » et notamment chez les filles « qui osent de plus en plus témoigner »…

En 2016, sept établissements scolaires engagés dans cette démarche ont été distingués du label 3 E : 6 en province Sud et 1 en province Nord. Cette semaine, 18 nouveaux établissements seront officiellement labellisés : 11 dans le Sud, 4 dans le Nord et 3 aux Îles.


Seize jours d’activisme

Des actions seront menées sur le territoire à partir du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et jusqu’au 10 décembre, Journée internationale des droits de la personne. Durant cette période, il est demandé aux établissements, organismes ou collectivités d’illuminer leurs bâtiments en couleur orange, les automobilistes peuvent également se manifester…

C.M.

©gouv/C.M