Édouard Philippe : Un référendum binaire en 2018, la méthode Rocard pour les jours et les décennies d’après…

Les visites des Premiers ministres se suivent en Calédonie. Celle d’Édouard Philippe fera date. Tant sur le fond : qu’il fallait expliciter à moins d’un an du référendum qui sera forcément binaire. Que sur la méthode, tout droit sortie des recettes appliquées par Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou dès 1988. Et qui ont gravé depuis 30 ans le mot « paix » dans le lexique du destin commun. Sa prestation devant les élus du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en témoigne, mais pas seulement. Retour sur un déplacement, pas comme les autres.

Inquiétudes. – Le paysage politique calédonien n’était pas des plus apaisés à l’arrivée du Premier ministre : certains à l’UC se disaient « déliés de la parole des Anciens » après le référendum, les élans souverainistes de Philippe Gomès, avaient certes permis de débloquer in extremis la situation au gouvernement, mais posaient question à la famille non indépendantiste. Comme à l’État qui s’inquiétait d’un « partage des compétences régaliennes » qu’interdit la Constitution. Et qui aurait de néfastes conséquences au plan intérieur : la Corse pour ne citer qu’elle…

Une stratégie en trois temps. – Chez certains, « d’abord est le verbe ». Chez Édouard Philippe, d’abord est « l’écoute, l’imprégnation du terrain et l’humilité », selon ses termes. En plus, il ne venait pas sur le territoire avec quelques milliards à distribuer, comme Manuel Valls. Juste une méthode à proposer. Alors, pour déminer le Caillou, il a agi en trois temps.

« Calme ! ». – Au premier temps de sa visite son maître mot a été : calme. « Je veux, a-t-il décliné sur tous les tons, un climat calme et serein propice à la bonne tenue du référendum afin que son résultat soit garanti, incontesté et incontestable ! » Les mots, empruntés aux uns et aux autres, mais à des moments divers, convenaient à la totalité de l’échiquier politique calédonien. Ils étaient incontestables et dignes d’un État partenaire de l’Accord, de sa sortie et sa suite…

La passe aux Calédoniens. – La rencontre avec les groupes de travail du Comité des signataires a marqué un deuxième temps. Pour le Premier ministre, l’idée était claire : ce serait plutôt au Congrès de fixer le jour de la consultation référendaire et plus encore ce serait à lui aussi d’en rédiger la question. Bien sûr, en cas de défaut, l’État prendrait le relais. Mais Édouard Philippe préfère certainement que le Président Macron puisse venir en avril ou mai 2018 en disant devant le Congrès : « L’État entérine le libellé de votre question et la date que vous avez choisie, plutôt que l’État a décidé que… ». Les Calédoniens ne peuvent que souscrire à la démarche.

Point d’orgue au Congrès. – Mais à la fin du déplacement, encore par humilité et pour rompre avec une coutume trop ronflante, le Premier ministre s’est exprimé devant les élus calédoniens… après les avoir entendus et côtoyés pendant quatre jours. « Je mesure les risques et les appréhensions et il ne faut pas que la consultation référendaire conduise à de nouvelles tensions. » Il faut au contraire, a dit le Premier ministre « continuer à faire fructifier cet actif immatériel que vous avez accumulé et qui conduit à la recherche d’un destin commun, bien au-delà de l’échéance du référendum ».

Une question binaire au référendum. – C’est pourquoi Édouard Philippe s’est montré particulièrement ferme et définitif sur l’organisation du scrutin d’autodétermination : « Je souhaiterais, a-t-il dit, que ce soit votre assemblée qui en détermine la date et qui fasse à l’État une proposition de rédaction de la question qui sera posée aux Calédonien. » In fine le Parlement français trancherait, mais on comprend que ce serait mieux « pour l’incontestabilité du vote et de son résultat ». Reste que, reconnaît le Premier ministre, « la question à poser est bornée par le droit français, international et l’Accord de Nouméa et devra être binaire ! Il ne peut pas en être autrement ». Pour ou contre l’indépendance ; la souveraineté de la Calédonie ou son appartenance à la France ; le passage de la citoyenneté en nationalité : tout est question de rédaction, mais la réponse doit être : « oui ou non à la France ou à l’indépendance ». On ne peut être plus clair. Et le Président Macron l’avait déjà été avant le Comité des signataires en écartant « les questions Canada dry », comme disent les conseillers de Matignon.

OK pour Santa. – Sans même attendre les propos du Premier ministre, le président du Congrès, Thierry Santa, lui avait par avance répondu dans son discours d’accueil : « Oui, le Congrès se réunira dans les plus brefs délais pour proposer une date pour le référendum » et oui, le Congrès se penchera dans la foulée sur « la rédaction d’une question claire et intelligible par tous », selon le vœu de l’État.

La méthode Philippe. – Mais le référendum est une étape. Juste une étape. Et pour la suite et « pas seulement le jour d’après, mais les dizaines d’années qui suivront », le Premier ministre propose au Congrès une méthode, héritée de la période Rocard-Lafleur-Tjibaou :

1- Instituer un groupe d’une dizaine de Calédoniens, incontestés et incontestables, pour suivre les travaux : une sorte de Comité des signataires, plus restreint à l’efficacité démultipliée.

2- Ouvrir « un temps d’échanges et de dialogue pas borné dans le temps » : le grand palabre en quelque sorte sans obligation de signer et contresigner tel ou tel engagement.

3- Arrêter des rendez-vous « aussi fréquents que nécessaire » avec l’État pour valider les étapes. Le premier serait le prochain Comité des signataires prévu avant le 15 mars de l’année prochaine, à Paris.

Des thèmes de travail. – C’est la deuxième proposition d’Édouard Philippe : commencer par établir une liste de travaux communs qui seront la base de l’après référendum de 2018. Sans engagement préalable, comme le demandaient certains, sinon l’ouverture de la discussion à toutes les formations représentées au Congrès. Et le Premier ministre de citer devant les élus du boulevard Vauban au grand complet :

– un bilan de l’Accord de Nouméa « avec ce qui a marché et ce qui a moins bien marché » ;

– un état des lieux des transferts de compétences réalisés et de ceux qui resteraient à faire ;

– la place de la Nouvelle-Calédonie dans le monde, et pas seulement dans son environnement proche qu’est le Pacifique Sud ; – la définition enfin, d’un socle des valeurs communes (celles de la République liées à celles du monde kanak et océanien)… Et qui font déjà consensus.

Et maintenant ? – Alors le Premier ministre ne le dit pas comme tel. Mais il se place dans la situation arrimée à la France à l’issue du référendum : ce qui ne fait pas doute ici. Mais propose aux Calédoniens un vade-mecum pour construire quelque chose d’encore plus original que l’Accord de Nouméa et qui aille plus loin encore… En clair, la standing ovation qui a suivi son allocution au Congrès n’était ni forcée, ni surfaite.


Un Comité des sages

Pour encadrer la campagne référendaire, comme le ferait un CSA local, le Premier ministre propose la création d’un Comité des sages composé, croit savoir Roch Wamytan, « d’Anciens (au sens coutumier du terme), d’anciens élus, de membres de la société civile et de religieux » : voilà qui ressemble beaucoup aux missions de l’époque rocardienne ! « Sans se substituer à la justice, ni s’arroger un pouvoir de censeur », ce Comité des sages pourrait alerter les protagonistes de la campagne référendaire sur ce qui « pourrait heurter la sensibilité calédonienne » ou nuire à l’esprit « de la recherche du destin commun ». Plutôt une bonne initiative, saluée par toute la classe politique au Congrès.


Roch et Descartes

« C’est un véritable discours de la méthode que nous propose le Premier ministre. On ne peut qu’y souscrire, puisqu’il parle davantage de l’après- référendum et pas seulement du jour d’après », dit Roch Wamytan, cependant, et hors micro, assez inquiet sur « les risques qu’encourent les leaders indépendantistes qui suivraient le processus ! » Inquiétudes donc chez le leader de l’UC, au 30e anniversaire de l’embuscade de Hienghène qui fit 10 morts en 1988.


Le mentor très présent

On l’a certainement oublié, mais avant de rejoindre Les Républicains puis les Marcheurs de Macron, Édouard Philippe fut « rocardien », ce qu’il ne dément nullement. Tout jeune « citoyen au droit de vote », le Premier ministre avait rejoint le groupe de réflexion baptisé « Opinions » fondé avant 1988 par un certain Michel Rocard, tout juste sorti du PSU pour rejoindre le Parti socialiste. « Sur le dossier calédonien, il a montré avec Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou que l’on pouvait faire de la politique avec noblesse et honneur », confie Edouard Philippe. « Oui, la politique n’est pas une série télévisée, il faut une éthique ! », claque-t-il.


À contretemps du timing habituel

D’ordinaire les Premiers ministres en visite en Calédonie formalisent leur propos en début de séjour devant les élus du Congrès, puis le déclinent, et parfois l’ânonnent, au fil des haltes protocolaires dans les trois provinces. Édouard Philippe a fait l’inverse et s’en explique. « Il fallait que je m’imprègne des particularismes locaux et que j’entende ceux qui souhaitaient me parler. Le temps du palabre est important chez vous, j’ai bien compris le message, précise-t-il, et je me suis exprimé à la fin. » Ce qui explique aussi qu’en off et au bénéfice de rencontres discrètes, le discours du Premier ministre au Congrès ait été enrichi des réflexions des uns et des autres. Par exemple, l’expression « N’ayons pas peur de nos peurs », vient de Paul Néaoutyine, celle du « temps d’échange pas borné dans le temps » de Roch Wamytan, celle du « référendum binaire pour qu’il soit compréhensible de tous » des Républicains calédoniens. Aussi, il n’est étonnant que le discours ait « convenu » à toutes les composantes de l’échiquier politique local. Chacun y a en effet trouvé le grain de sel qu’il voulait y ajouter. Donc réussite totale de Matignon sur le sujet.


Retour en 1517 !

Eh oui, en cette année-là, la Calédonie ne figure pas sur les planisphères des grands navigateurs. « Mais le roi François 1er décide de la construction du port du Havre, qui allait servir à la découverte et à l’exploitation du nouveau monde » et dont Edouard Philippe fut maire. « Cette même année, le moine Luther placarde les premiers manifestes qui allaient conduire au protestantisme : nos deux protagonistes savaient-ils qu’ils allaient transformer le monde ? », s’interroge le Premier ministre en ouverture de son discours au Congrès. « De la même façon la Nouvelle-Calédonie vit depuis 30 ans une transformation, mais elle en a certainement d’avantage conscience ». Ouf, le Premier ministre est retombé sur ses pieds !


René Char avait tort !

« Le poète René Char écrivait : Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », cite Édouard Philippe. « S’agissant de la Calédonie, il avait tort, corrige-t-il. Ici, nous avons la chance d’être sur un chemin balisé par des géants comme Michel Rocard et jalonné de symboles forts comme cette poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou : une image d’une puissance inimaginable pour le jeune homme », qu’il était à l’époque, confesse-t-il.

 

M.Sp.

Photos DNC/M.D-C.M