Destructions (et arrestations) à Kouaoua

Un énième incendie a provoqué de considérables dégâts sur le site de la SLN à Kouaoua la semaine dernière. Les exactions perdurent malgré la médiation et l’abandon de l’exploitation des nouveaux gisements qui posait problème aux « jeunes ». Et elles continuent de mettre en péril l’outil industriel, la commune et ses habitants. La logique semble être la destruction pure et simple… Des interpellations ont eu lieu cette semaine.

Depuis le mois de juillet, la SLN a été victime de 18 incendies malveillants sur le site de Kouaoua. Le dernier, survenu dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, a causé la destruction d’une quinzaine d’engins miniers (camions, ravitailleurs, chargeurs, bulls…), ce qui équivaut à la moitié de la flotte de la société sur cette commune. La tête de la Serpentine a aussi été détruite.
Les discussions, la médiation, l’abandon de l’exploitation des nouveaux gisements n’auront au final rien donné et l’exaspération est désormais à son maximum, à la SLN et dans la commune.

Criminels

Au sein de l’entreprise, c’est une nouvelle catastrophe. Quinze jours seulement après la reprise, les employés ont de nouveau été frappés de plein fouet par la destruction de leur outil de travail. Jeudi matin, les équipes ont réalisé un point complet des dégâts sur les engins et les installations. Des plaintes doivent être déposées. Des expertises ont été lancées afin d’évaluer les sinistres. Mais l’on sait déjà que les dégâts sont majeurs.

En dépit des dégradations commises sur l’outil de production, la direction et les équipes ont décidé de reprendre le travail sur la mine dès vendredi après la réunion d’un comité d’entreprise extraordinaire qui a permis de faire le point sur la situation et en particulier sur des mesures de sûreté complémentaires. Une cellule psychologique a été mise en place.

La signature récente d’un accord sur les 147 heures, qui permet la constitution d’une quatrième équipe, va permettre de répartir au mieux les effectifs sur un parc d’engins réduits. Reste que « la situation est grave », comme l’a indiqué Dominique Katrawa, président du conseil d’administration de la SLN. Christel Bories, présente au conseil d’administration, n’a pas non plus mâché ses mots. La PDG du groupe Eramet a parlé « d’attitudes criminelles », de « guérilla », visant clairement les salariés de la SLN. Elle s’est insurgée contre le « sentiment d’impunité » qui semble exister à Kouaoua et a réclamé des sanctions. Forcément, des adaptations sont plus que jamais nécessaires pour sauver la SLN (lire encadré).

Conflit

Le centre minier fournit environ 600 000 tonnes de minerai sur les trois millions annuellement raffinés par la SLN. Et il représente aussi 400 emplois directs et indirects, pour beaucoup des emplois occupés par des gens de la région. Alors forcément, la tension ne cesse de monter sur place. Le conflit prend des proportions inquiétantes et divise au sein même des familles. Les habitants ont appelé à maintes reprises les autorités à la rescousse, mais le dernier incendie, le plus grave, a visiblement été la fois de trop.

Finalement, après l’agression d’une maman vendredi, un mouvement a été organisé lundi devant la mairie. Des habitants et des travailleurs ont remis un cahier de doléances au maire. Il a été demandé que les leaders soient expulsés, interpellés. Des fauteurs de troubles qui sont visiblement connus de tous. La présence de l’ancien leader syndical, Sylvain Néa, semble être un problème particulier a relevé NC La Première. Dans un communiqué, le conseil de l’aire Xârâcùù a appelé la population au calme. Mais les coutumiers de Kaa Wi Paa ont aussi lancé un ultimatum aux autorités.

Mises en examen

Face à ces exactions « que rien ne peut justifier », l’État a redit que l’exaspération de la population et des employés de la SLN était « légitime ». Et le cabinet du haut-commissaire a apporté quelques clarifications, lundi. Il a été rappelé que l’État mettait « tout en œuvre pour permettre à la SLN de poursuivre ses activités ». L’État a souligné que « tout en ayant accepté, le 16 août, à la demande de la SLN, d’endosser le rôle de médiateur dans le conflit qui a opposé l’exploitant au collectif des jeunes de Kouaoua, il a accordé le concours de la force publique à trois reprises ».

Les moyens impliqués ont aussi été détaillés : mobilisation en permanence de la gendarmerie nationale pour sécuriser l’accès au site et en assurer la surveillance (peloton de 16 militaires appuyés par des gendarmes de La Foa et de Népoui) et mobilisation totale sur le plan judiciaire pour que « les auteurs des incendies répondent de leurs actes ».

Vendredi et samedi dernier trois hommes, originaires de Kouaoua, âgés de 21, 28 et 31 ans ont été interpellés et placés en garde à vue. L’un a reconnu avoir mis le feu à deux reprises au tapis de la Serpentine à l’aide de végétaux et d’un simple briquet. Le deuxième a avoué sa participation à un autre incendie. Le troisième, enfin, a nié toute implication en dehors d’un incendie du 11 juin pour lequel il avait déjà été condamné à 18 mois d’emprisonnement. Les deux premiers ont été mis en examen pour dégradations par incendie et placés en détention provisoire. Le dernier a été laissé sous statut de témoin assisté et est retourné au Camp-Est pour finir d’exécuter sa peine.

Sept nouvelles interpellations ont eu lieu lundi et mardi et le placement en détention provisoire a été demandé pour deux mis en examen, un homme de 24 ans ayant reconnu sa participation dans cinq incendies de la Serpentine et un homme de 30 ans qui nie les faits mais est mis en cause dans un incendie.

Les investigations se poursuivent « afin d’identifier et interpeller l’ensemble des auteurs et complices ». Le procureur de la République, Alexis Bouroz, a fait état de la délicatesse des investigations en raison de « l’isolement des lieux, du mode opératoire des malfaiteurs, de la difficulté d’assurer une surveillance efficace du site et l’absence de possibilité de recourir sur le territoire aux techniques d’enquête de géolocalisation ».

Il a néanmoins assuré que depuis des mois, la section de recherches de la gendarmerie et les militaires de la compagnie de gendarmerie de La Foa « ont procédé à un travail colossal de recoupements d’informations qui vient de porter ses fruits ».

C.M.


De nombreuses réactions…

Le dernier incendie a provoqué une pluie de commentaires auprès des autorités locales et aussi des invectives en direction du haut-commissaire. Pour le gouvernement, les exactions commises sur les installations de la SLN « dépassent aujourd’hui le stade de la revendication sociale ou environnementale » et sont des « faits criminels totalement inqualifiables » dont « personne ne comprend aujourd’hui les justifications ni les enjeux ». L’exécutif souhaite que les auteurs soient traduits devant la justice.

Calédonie ensemble parle d’un « gang qu’il faut stopper ». Selon le parti, si tous les acteurs concernés – État, SLN, province Nord – ont œuvré activement pour sortir de la crise, on est maintenant dans le registre de la « criminalité » et la « terreur », et il faut que les procédures d’enquête soient menées « le plus rapidement et le plus efficacement possible, avec tous les moyens nécessaires ».

Le Rassemblement estime, de son côté, que l’État a une « obligation de résultat » dans cette affaire. Pour Les Républicains calédoniens, « ces actes à répétition ne seraient tolérés sur aucun autre territoire de la République » et « le haut-commissaire doit désormais agir ou tirer les conclusions de son incapacité personnelle à gérer la crise ».

Enfin, le Medef-NC réclame « une solution durable avec l’aide de l’État qui garantisse une fois pour toutes le retour à une activité normale de travail sur ce site de Kouaoua ».


Nouveaux leviers

Les incendies ont coûté plusieurs millions de dollars impactant la situation de la SLN, déjà problématique, ainsi que les comptes du groupe Eramet. La SLN s’apprête pour la septième année consécutive à enregistrer des pertes, malgré le plan d’amélioration de la compétitivité. Christel Bories, PDG d’Eramet, a invité les salariés à avancer sur les chantiers présentant du retard, à trouver d’autres leviers pour diminuer le coût de production (cash cost) rapidement et faire en sorte que la SLN reste concurrentielle. Il est également question de renégocier les prix de l’énergie avec les autorités et d’ouvrir à l’exportation le minerai brut, qu’elle ne peut fondre à Doniambo, un complément nécessaire pour sauver la métallurgie. Dans l’émissionPolitique direct(e), le député Philippe Gomès s’est dit en faveur de la révision du schéma minier et d’une « révolution » à ce niveau.