Des opérations du cœur en Calédonie

Une équipe de chirurgie cardiaque de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM) de Paris a opéré 28 patients ces deux dernières semaines au Médipôle de Koutio. Ce déplacement doit permettre d’évaluer l’intérêt médical, économique et pratique de telles missions qui pourraient permettre à l’avenir d’éviter les Évasan.

Patrice Müller, visiblement, ne s’est pas fait prier pour parler à la presse de son opération, réussie. Âgé de 76 ans, le retraité a subi entre les mains d’un chirurgien de l’IMM un quadruple pontage coronarien. Onze petits jours plus tard, devant nous, remis sur pied, il a exprimé toute sa « gratitude » et son « admiration » pour son expérience au CHT, saluant la « gentillesse », le « dévouement » et la « compétence » du personnel l’ayant pris en charge. Grâce à cette mission, et à l’instar de 27 autres patients, Patrice Müller a pu profiter des avantages à être traité à la maison, près des siens.

Un intérêt pour chacun

D’habitude c’est à Sydney, au Strathfield Private Hospital, ou au sein d’établissements métropolitains (dont l’IMM) que sont réalisées les opérations du cœur des Calédoniens. Le Médipôle de Koutio bénéficie d’un excellent niveau médical en cardiologie (lire encadré) et d’un plateau technique de dernière génération, mais ne dispose pas d’un bassin suffisant de population et de patients à opérer – 250 par an quand il en faudrait 400 (pour environ 1 million d’habitants) afin de développer une telle activité de chirurgie. Tous les patients nécessitant une intervention cardiaque sont donc évasanés, qu’il s’agisse d’urgences ou d’interventions programmées.

L’Australie, en particulier, est privilégiée par bon nombre de Calédoniens. Les soins comme en Métropole y sont très bons, les relations avec le Dr Wilcox du Strathfield également, tout comme la disponibilité des équipes, mais se pose néanmoins toujours la question de la distance (même moindre), de la langue, de l’organisation des Évasan et évidemment du coût des prises en charge dans un contexte financier qu’on sait particulièrement difficile pour la Cafat.

Avec l’infrastructure existante aujourd’hui et dans le cadre du plan Do Kamo visant à optimiser localement l’offre de soins, nos dirigeants réfléchissaient donc à l’idée d’avoir ici une activité récurrente de chirurgie cardiaque. Ils ont été approchés par l’IMM à la recherche de partenariats avec des établissements hospitaliers en outre-mer et à l’étranger pour développer ses interventions cardiaques et ont finalement avalisé le déroulement de cette mission test.

80 % des opérations, 30 % de coût en moins

Les professionnels ont été clairs : cette expérience n’a pas été une mince affaire. La mission était préparée depuis des mois par un groupe de pilotage IMM/CHT. Il a fallu organiser les équipes, harmoniser les méthodes de travail, faire venir du matériel, rendre les lits disponibles, changer les services de places, redistribuer les tâches au personnel, une partie étant complètement dévolue à cette activité. Il a fallu par ailleurs sélectionner les patients avec aussi les cardiologues du secteur privé, planifier les interventions, préparer ces patients et leurs familles.

Deux chirurgiens, les Dr Mathieu Debauchez et Christophe Caussin, pour une équipe totale de quinze personnes, se sont partagé une trentaine d’interventions (les opérations trop complexes ayant été exclues de cette phase de test) : 20 chirurgies lourdes (remplacements valvulaires, pontages aorto-coronariens, anévrismes de l’aorte…) et huit traitements par cardiologie interventionnelle structurelle pratiquée sur des patients dont l’état général était jugé trop précaire pour subir un acte de chirurgie cardiaque classique. L’IMM est spécialisé dans les actes chirurgicaux « mini invasifs » qui réduisent considérablement le traumatisme chirurgical dû aux incisions. Les dernières techniques d’anesthésie ont également été utilisées pour des réveils moins difficiles.

Les actes se sont bien déroulés et le succès fut présent sur le plan médical. Ce fut également extrêmement intéressant pour le service de cardiologie du Médipôle, en particulier l’unité de soins intensifs. Cardiologues, infirmières, aides- soignantes, ont intégré des équipes devenues mixtes pour ces interventions et un transfert de compétences a été engagé pour une partie du personnel.

Une évaluation complète de ce partenariat a été engagée. Elle implique des représentants du CHT, de l’IMM, du gouvernement de la Nouvelle- Calédonie, de la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass) et des caisses de protection sociale. Si le bilan médical, organisationnel et économique s’avérait concluant, une convention pourrait être signée. Et il s’agirait alors d’organiser ce genre de mission tous les trois mois sur une période de trois ou quatre semaines à chaque fois. Une récurrence qui ferait que les Calédoniens pourraient accéder à ces programmes avec huit à dix semaines d’attente environ. La rééducation pourrait se faire au centre de soins de suite et de rééducation, le CSSR, sur le même site que le Médipôle, autorisé à développer la rééducation cardiovasculaire.

L’objectif serait de prendre en charge 80 % des patients c’est-à-dire tout ce qui ne relève pas des urgences (20 % des actes dont 10 % d’urgences vitales) comme les dissections de l’aorte, les endocardites… qui continueraient à être traitées par des évacuations sanitaires vers l’Australie ou la Métropole. Resterait un aléa : changer les mentalités et convaincre ces Calédoniens pour qui il est encore hors de question de se faire opérer ici…

Autour de la table, de gauche à droite, Pascale Klotz, directrice par suppléance du CHT, le Dr Mathieu Debauchez, responsable du pôle chirurgie cardiaque et cardiologie de l’IMM, Jacqueline Bernut, présidente du conseil d’administration du CHT, Patrice Müller opéré du cœur et le Dr Olivier Axler, chef du service de cardiologie du CHT. ©DNC 


Questions de coût

Le coût de cette mission a été évalué à un maximum de 200 millions de francs. Son financement a été pris entièrement pris en charge par la Nouvelle-Calédonie via l’Agence sanitaire et sociale. Selon nos sources, la Cafat était plutôt réticente au sujet de cette mission et dans le contexte actuel, il était encore moins question de financer ce genre d’exploration.

Ce rapprochement ne ferait pas que des heureux non plus dans le milieux médical. À l’hôpital privé de Strathfield, la direction aurait fait part de son inquiétude voire de son mécontentement. Une bagarre s’est aussi engagée entre l’IMM et le groupe Ramsay générale de santé, premier groupe de cliniques et d’hôpitaux privés de France, qui n’aurait pas tout à fait apprécié qu’on envisage de retirer la clientèle calédonienne de Métropole. Sur les interventions cardiaques concernées (80 %), l’Institut Montsouris pense pouvoir réduire les coûts totaux pour la collectivité d’environ 30 % par rapport aux Évasan.

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Des pathologies particulières

Il existe quelques particularités sur le plan cardiaque en Nouvelle-Calédonie : une prédominance de valvulopathies ou de RAA, rhumatisme articulaire aigu qui atteint les valves. Il y a de plus en plus de patients détectés, mais beaucoup se font suivre bien tardivement et ne se soignent pas dans la durée…

Les médecins évoquent également un nombre important d’infarctus. « Les gens fument, boivent, ingurgitent des quantités de sel, de sucre, de graisses pharamineuses », nous dit le Dr Olivier Axler, chef du service de cardiologie.


Le service de cardiologie

Il y a actuellement 12 postes de cardiologues au CHT, quand il en faudrait 15, sous la houlette du Dr Olivier Axler. Le service compte trois coronographistes, deux rythmologues, sept cardiologues non invasifs qui doivent tenir l’unité de soins intensifs, la cardio-hospitalisation, les gardes, les échographies cardiaques, les consultations de la néonatologie à la gériatrie en Nouvelle- Calédonie et Wallis-et-Futuna. Les conditions d’exercice se sont nettement améliorées depuis l’arrivée au Médipôle et l’hôpital attire davantage les jeunes cardiologues. Le service fonctionne depuis toujours sans chirurgien

C.M.

©CHT/Delphine Mayeur