Des charançons mangeurs de jacinthes

La Biofabrique de Saint-Louis produit des insectes auxiliaires depuis mars 2009. Il y a un an, cette structure de la Direction du développement durable étoffait son arsenal avec un nouvel insecte ayant vocation à lutter contre la jacinthe d’eau, une espèce très envahissante. Toujours sous surveillance, la validation des essais pourrait intervenir d’ici six mois à un an.

La jacinthe d’eau est une véritable plaie. Une plaie pour les autres plantes avec qui elle entre en compétition, mais aussi avec la faune aquatique des rivières, lacs et retenues d’eau. Une fois qu’elle commence à s’y développer, plus rien ne l’arrête jusqu’à ce qu’on ne puisse plus voir que ses fleurs violettes. Aussi jolie soit-elle, il commençait à devenir urgent de lutter contre son développement.

Pour l’anecdote, c’est en 1911 que cette plante, introduite à des fins ornementales, a été signalée en Nouvelle- Calédonie. Elle fait partie des 100 espèces les plus envahissantes au monde et se propage principalement par le biais des inondations. Avec le temps, certains plans d’eau et rivières ont été littéralement infestés par cette peste végétale qui ne connaît pas de véritable prédateur ni de plantes qui viendraient lui disputer la place. Aux Assises de l’eau de 2008, Christian Mille, chercheur à l’IAC, a lancé les premières pistes pour lutter contre la jacinthe d’eau. Les méthodes « traditionnelles » telles que le curage mécanique ou les pesticides étant inefficaces, le chercheur a suggéré d’utiliser les insectes auxiliaires.

Un auxiliaire présent dans une quarantaine de pays

En 2012, le programme est lancé, en partenariat avec la CPS et le CSIRO, équivalent du CNRS en Australie. Ce sont d’ailleurs nos voisins qui nous ont fourni les souches de l’auxiliaire, les charançons étant totalement absents du territoire. Originaires d’Amérique du Sud, la jacinthe et les charançons d’eau sont plus qu’étroitement liés, au point qu’ils partagent une partie de leur nom scientifique (la jacinthe s’appelant Eichhornia crassipes et le charançon, le neochetina Eichhoniae).

Le gros avantage de cette symbiose est que le charançon se nourrit uniquement de jacinthe. « Il y a une totale innocuité des charançons, insiste Bruno Gatimel, le responsable de la Biofabrique de Saint-Louis. Ils sont complètement inféodés à la plante. Les adultes mangent les feuilles et les larves grandissent dans la tige. » Gros avantage de ce programme, il a largement fait ses preuves à travers le monde. Dans près de quarante pays, le charançon a permis de réguler la jacinthe d’eau. Dans la région, après l’Australie, la Papouasie, Fidji, les Salomon et le Vanuatu en 2007, la Calédonie est le dernier pays à se doter de cet outil.

À noter que l’introduction du charançon s’est faite avec de nombreuses précautions afin d’éviter, autant que possible, d’introduire une nouvelle espèce envahissante. Si les résultats observés dans le monde sont très satisfaisants, les charançons ne permettent pas d’éradiquer totalement les jacinthes. Les lâchers d’insectes permettent de réduire les surfaces envahies de 70 à 80 %. Une fois ce seuil atteint, les populations vont se stabiliser et un équilibre va s’instaurer. Mais si les plantes étaient amenées à disparaître, les charançons ne changeraient pas de nourriture pour autant. Ils disparaîtraient sans mettre en danger la biodiversité calédonienne.

Une réduction de 80 %

Ne restait qu’à tester localement ce programme « clef en main » avant d’en permettre une diffusion plus large. C’est ce qui a été fait après avoir identifié un site relativement accessible du côté de la Tamoa répondant aux critères. La Direction du développement rural pouvait difficilement mieux tomber puisque la retenue d’eau est assez massivement infestée de jacinthe et permet d’arroser une exploitation biologique. Le premier lâcher de 300 insectes a été réalisé sur un mètre carré il y a tout juste un an, en mars 2015, sur le site suivi depuis quatre ans. Il y a un peu plus d’un mois, 300 charançons ont été inoculés à nouveau.

L’objectif de réduction de 80 % des jacinthes prend un certain temps, les charançons étant une espèce qui se développe relativement lentement. Elle reste à l’état d’œuf durant trois mois puis passe à l’âge adulte pendant neuf mois. Selon le responsable de la Biofabrique, les premiers effets se verront d’ici trois à cinq ans. Les premiers résultats pourraient toutefois être validés d’ici six mois à un an.

À ce moment-là, la Biofabrique provinciale devrait passer la main au Conservatoire d’espaces naturels qui aura la charge de faire passer le programme du test, à l’application sur l’ensemble du territoire. Un recensement des sites envahis a été établi et une cartographie est cours d’élaboration au travers d’un système d’information géographique. Confiants, les agents de la Biofabrique ont déjà commencé à travailler sur un mode d’emploi pour la reproduction ainsi que l’utilisation des charançons.

M.D.

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La Biofabrique de la DDR

La structure provinciale, inaugurée en 2008 par la province Sud, a pour principale mission de mettre au point des outils de lutte biologique. L’idée étant de réduire l’utilisation des pesticides au profit de l’utilisation de ces insectes auxiliaires dans les exploitations agricoles. Cet outil des auxiliaires s’intègre dans une démarche plus large appelée PBI, pour protection biologique intégrée.

D’autres outils existent comme les filets « insects proof » qui empêchent les insectes d’accéder aux plantes. La Biofabrique produit plusieurs auxiliaires comme les microguêpes contre les aleurodes (mouches blanches). Ces insectes sont distribués gratuitement en Calédonie, contrairement à ce qui se fait un peu partout dans le monde, où les éleveurs payent. Un coût qui est nettement inférieur à celui des pesticides.

Si la PBI comporte le mot bio, elle n’est pas réservée aux seules exploitations biologiques et de nombreux producteurs « conventionnels » y ont également recours. À noter que l’ensemble des insectes reproduits par la Biofabrique sont des insectes locaux, en dehors des charançons.