Décryptage du référendum et des provinciales

Une des assesseurs d’un bureau de vote de Nouméa ouvrant une urne à la fin du scrutin dans le cadre du referendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, dimanche, 4 novembre 2018. La Nouvelle-Calédonie organisait le premier des trois referendum prévu par le processus de décolonisation engagé par l’Accord de Nouméa. (AP photo/Mathurin Derel)

L’étude menée par le Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, sur les comportements des électeurs lors du référendum du 4 novembre 2018 et des provinciales du 12 mai dernier a été présentée cette semaine sur le campus de Nouville.

T rente ans après les accords de Matignon et 20 ans après celui de Nouméa, le Cevipof, en collaboration avec l’institut Quid Novi, le CNRS et Samuel Gorohouna, maître de conférences de l’Université de Nouvelle-Calédonie, a souhaité, pour la première fois, étudier les attitudes politiques et les comportements électoraux des Calédoniens. Quels sont les principaux facteurs explicatifs du vote référendaire ? Dans quelle mesure les attitudes politiques sont-elles polarisées ? Y a-t-il des points de convergence au-delà des di érences communautaires ou partisanes ? Autant de questions auxquelles l’enquête apporte des réponses inédites. La seconde vague de l’enquête a étudié, de manière complémentaire, les comportements électoraux lors des élections provinciales. Après Paris début juin, le document a été rendu public mardi sur le campus de l’UNC.

Ce qui était prévisible

Les deux enquêtes de cette étude ont été menées, comme l’a indiqué Samuel Gorohouna « juste après les deux élections sur un échantillon de personnes représentatives des Calédoniens, précisément sur 1 304 individus pour le référendum et 813 pour les provinciales. »
Si pour lui, les « résultats principaux sont ceux auxquels on s’attendait », Sylvain Brouard, chargé de recherche au Cevipof, est allé plus loin en précisant que les deux enquêtes avaient effectivement révélé que certaines règles habituelles, comme celle liant l’âge et l’abstention ou la différence entre territoires ruraux et territoires urbains, s’appliquent en Calédonie comme ailleurs.
Plus la population est jeune, moins elle vote et on vote plus en ville qu’en brousse, quelles que soient les communautés et les ethnies. Concernant ce deuxième point, Samuel Gorohouna explique que « quand on vote dans un village, dans les tribus, c’est très facile de savoir qui a voté et qui n’a pas voté. C’est partout pareil dans le monde. Donc il y a un contrôle social plus fort en tribu par rapport à Nouméa, par exemple. »

La particularité calédonienne

Par contre, ce qui est intéressant et nouveau pour les chercheurs, ces deux études révèlent qu’il y a une spécificité calédonienne, notamment en matière de comportement pour le référendum. Sylvain Brouard a précisé que l’on n’avait pas voté pareil en fonction des revenus. « Si l’on compare au Québec où a eu lieu un référendum sur l’indépendance, on constate une différence par rapport au lien entre le vote et le niveau de revenus. » Le chercheur précise ainsi que « la proportion de non à l’indépendance au Québec augmente avec le revenu, alors qu’en Calédonie dans l’électorat kanak, plus les revenus augmentent et plus on vote pour l’indépendance et c’est quelque chose de nouveau ». Pour Samuel Gorohouna, diffcile d’expliquer, mais peut-être que « le discours indépendantiste de ces trente dernières années qui disait d’aller travailler pour créer de la valeur et vous accéderez à l’indépendance, a mieux fonctionné ».

Le vote kanak

Concernant l’âge des votants, l’étude a révélé que l’électorat, toutes ethnies confondues, était essentiellement constitué de personnes plus âgées, signe d’un désintéressement de la jeunesse aux scrutins, mais que du côté des femmes kanak, plus elles étaient âgées, plus elles avaient voté « non » à l’indépendance. Samuel Gorohouna a également mis en lumière deux données, les jeunes Kanak qui ne se sont pas abstenus ont voté essentiellement pour le oui et que le « caractère communautaire ethnique a eu un impact fort sur le vote. Ce sont les Kanak de statut civil de droit coutumier qui ont principalement voté pour l’indépendance, beaucoup plus que les Kanak de droit commun ». Une donnée intéressante qui montre que la tradition coutumière se retrouve dans le vote kanak. Au niveau géographique, l’étude a mis en lumière que les Kanak qui avaient voté dans un lieu différent de leur lieu de résidence, généralement par procuration, se sont généralement plus abstenus. Tout comme ceux qui vivent dans le Grand Nouméa, là aussi, qui se sont plus abstenus qu’ailleurs.

L’évolution du vote

C’est une des composantes non négligeables du référendum du 4 novembre, le oui à l’indépendance a fait son chemin jusqu’au dernier jour. L’étude a révélé que si près de 70 % des électeurs interrogés ont déclaré avoir toujours su pour qui ils voteraient, les 25 à 30 % restants se sont prononcés au dernier moment en raison d’une campagne plus a rmée les dernières semaines en faveur du oui. Pour Sylvain Brouard, l’explication est simple : la campagne du oui a pu continuer de faire son chemin parce que les partisans du non à l’indépendance ont, pour certains, cessé de faire campagne à la vue des sondages annoncés.

Les provinciales

Deuxième volet, l’étude du Cevipof s’est concentrée sur les provinciales. Selon les résultats, on y apprend surtout que la question de l’indépendance n’a pas été au cœur des préoccupations des électeurs, et ce, malgré la campagne menée par certains groupes politiques. Seulement 19 % des électeurs l’ont placée au cœur du scrutin provincial, alors que la grande majorité a priorisé les questions liées à l’éducation et à l’économie.

Des élections marquées par la chute de Calédonie ensemble et l’émergence de la communauté wallisienne et futunienne, qui s’est portée à 25 % sur la liste de l’Éveil océanien. Selon l’étude, cela s’explique par une volonté de « dégager » le pouvoir en place, d’en finir avec la politique économique et sociale du gouvernement Germain. 39 % d’avis négatifs ont ainsi été recensés vis-à-vis de cette politique du gouvernement.

L’étude du Cevipof a donc été présentée au début du mois à Paris et cette semaine à l’UNC. Elle sera publiée prochainement et pourra être analysée par des politicologues ou les groupes politiques calédoniens qui pourront en tirer les enseignements nécessaires. L’objectif des chercheurs est de réaliser une autre étude pour le prochain référendum.

C.S