De nouveaux yeux pour surveiller l’eau douce

Les cours d’eau sont fragiles et subissent régulièrement des pollutions, tant organiques que sédimentaires. Il existe en Calédonie deux indices qui permettent aux scientifiques de mesurer leur état de santé. Ces indices créés il y a près de vingt ans avaient besoin d’être améliorés. C’est désormais chose faite, mais d’autres nouveautés sont à prévoir pour veiller à la bonne santé des rivières et creeks.

Pour protéger, il faut mesurer. C’est tout l’intérêt des indices biotiques de la qualité des eaux douces. Un terme un peu technique pour désigner les indicateurs qui permettent de suivre l’état de santé des cours d’eau. Ce travail a commencé en 1995 avec la thèse de Nathalie Mary, à l’origine de l’élaboration d’un indice biologique adapté à la Nouvelle-Calédonie venant compléter les analyses physico-chimiques classiques. L’important travail de l’hydrobiologiste, des provinces et des bureaux d’études permet de mettre en place l’IBNC, pour indice biotique de Nouvelle-Calédonie, en 2002.

La grande nouveauté de cet indice est que l’on étudie d’autres critères que la température, le pH, l’oxygène ou encore la turbidité pour caractériser l’état d’une rivière,  mais aussi la faune qui s’y trouve et en particulier les macro-invertébrés benthiques. Ce sont des organismes visibles à l’œil nu dont le groupe majoritaire est constitué par les insectes aquatiques diptères et qui vivent au fond des cours d’eau. L’idée est simple : certains de ces macro-invertébrés étant plus sensibles à la pollution que d’autres, les scientifiques ont établi une échelle de sensibilité des différentes espèces ce qui permet de définir la qualité des eaux. Plus il y a de macro-invertébrés sensibles, plus la qualité de l’eau est satisfaisante.

Des indicateurs affinés

Afin de compléter cet indicateur surtout sensible aux pollutions organiques, les chercheurs en ont ajouté un deuxième, en 2007, mesurant les pollutions bio-sédimentaire, ou plus simplement, celles liées plus spécifiquement à la mine. Jusqu’en 2010, le service de l’eau de la Davar (Direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales) évaluait donc la qualité des eaux douces calédoniennes grâce à ces deux outils. En 2010, un atelier réunissant des experts internationaux a suggéré d’améliorer ces indicateurs.

Il a été une nouvelle fois fait appel à Nathalie Mary qui, après vingt ans de travail sur les eaux douces calédoniennes, affiche une expertise plutôt fine. La scientifique a planché plus de cinq ans sur la révision des indicateurs grâce à un cofinancement du Centre national de recherche technologique (CNRT) Nickel, de l’Œil et de la Davar. Le travail a été restitué lundi 22 février, à l’auditorium de l’IRD devant la communauté scientifique, les bureaux d’études et certains mineurs. Car les bureaux d’études et les mineurs sont directement concernés par les changements de ces indicateurs, notamment du point de vue financier.

Si les nouveaux modes opératoires permettent de gagner du temps en laboratoire, l’augmentation du nombre de prélèvements, du nombre d’espèces à trier et à compter ainsi que des modes opératoires plus longs ont suscité des interrogations de la part des professionnels de ce secteur en crise. Les cours d’eau surveillés par la Davar le sont tout particulièrement lorsque des activités humaines sont susceptibles de les impacter, ce qui est le cas de la mine. Les préconisations font d’ailleurs partie de leur arrêté d’exploitation.

Une transition en douceur

Les représentants des provinces et du gouvernement se sont voulus rassurants de ce point de vue. La fréquence des campagnes pourrait être réduite sans avoir de conséquences, selon l’hydrobiologiste, sur la qualité des observations. Concrètement, les améliorations portent sur une meilleure définition de la sensibilité des différentes espèces de macro-invertébrés. Un nouveau guide plus précis pour les identifier paraîtra dans le courant de l’année. Afin d’obtenir des résultats plus fins, les équipes de terrain devront par ailleurs mieux décrire les lieux de prélèvement, remplir des fiches d’identification plus précises et modifier le conditionnement des échantillons.

Si pour le profane ces modifications peuvent paraître anodines, elles vont entraîner de profonds changements dans la surveillance de la qualité des eaux et plus précisément en matière de gestion des données. Un délai est toutefois prévu pour permettre une transition en douceur. Chaque cas particulier devra être revu au travers d’arrêtés modificatifs ou de nouveaux arrêtés qui prendront en compte les nouvelles normes de calcul et les changements de protocole.

Une base de données unique

Cette révision des indices a vocation à faire évoluer la gestion des données. Jusqu’à présent, l’ensemble des observations étaient gérées par chaque bureau d’études ou mineurs. Les informations qui constitueront une base de données de plus de 340 000 attributs seront centralisées sur un unique serveur. Pour cela, il faudra néanmoins un énorme travail d’uniformisation des données qui remontent à 1996 pour les plus anciennes. Cet outil permettra d’avoir une meilleure vision de l’état des cours d’eau sur le long terme et de valoriser des données inexploitées jusqu’à présent. Certaines données ne sont pas publiques, mais de manière générale, elles seront accessibles grâce au portail Internet Galaxia (http://www.oeil.nc/fr/page/Galaxia) développé par l’Œil. Une application permet de visualiser sur  une carte les stations de surveillance, leurs gestionnaires et bien d’autres informations.

De nouveaux indicateurs

En plus de l’IBNC et de l’IBS, les chercheurs travaillent actuellement à la mise en place de nouveaux moyens de mesurer la qualité des eaux douces. Un indice reposant sur les diatomées est notamment en cours de développement. Les diatomées sont des algues unicellulaires qui possèdent un squelette externe et sont considérées comme d’excellents bio-indicateurs. Un indice sur la base des poissons est une autre piste envisagée. Le développement d’un indice reposant sur l’ADN environnemental va également être lancé d’ici à quelques semaines. L’idée est d’analyser les ADN que l’on retrouve dans le milieu afin de définir les espèces qui s’y trouve et donc, à la manière de l’IBNC, d’évaluer la qualité des eaux.

M. D.