Conflit USA/Corée du Nord, Le Pacifique inquiété

Plutôt méconnue sur la scène internationale, l’île de Guam, située à l’est de l’Asie dans le Pacifique, s’est trouvée sur le devant de l’actualité ces derniers jours en devenant la cible de la Corée du Nord. Éléments d’explication d’une Ssituation… très complexe.

Stupeur, la semaine dernière, dans l’escalade verbale entre Donald Trump et Kim Jung-un. Le leader nord-coréen a confirmé vouloir tirer des missiles vers l’île américaine de Guam, dans le Pacifique, affirmant que seule la « force absolue » fonctionne avec son homologue américain, qui a « perdu la raison ». La réponse de l’intéressé ne s’est pas fait attendre. Après avoir promis « le feu et la colère » au régime de Kim Jong-un, Trump s’est montré plus menaçant encore. « Les solutions militaires sont maintenant pleinement mises en place, verrouillées et chargées, si la Corée du Nord agit de manière imprudente. » En clair : une telle attaque provoquerait une déclaration de guerre envers les États-Unis, qui attaqueraient en retour. La menace était tellement sérieuse qu’en australie, le Premier ministre, Malcolm Turnbull, a affirmé solennellement que le pays se tiendrait auprès des États-Unis s’ils étaient attaqués. Plusieurs autres nations, dont la Chine, ont de leur côté appelé les parties à la retenue, à « éviter les paroles et les actions susceptibles d’accroître la tension ». Depuis, la tension est effectivement quelque peu retombée… au moins dans les paroles (lire encadré). Mais le problème, qu’on se le dise, demeure. Et il est très sérieux, puisque désormais ce sont deux puissances nucléaires qui s’affrontent.

Guam, au cœur du sujet

Avec ses armes, Kim Jong-un menace de s’en prendre aux États-Unis. Après avoir menacé de transformer Séoul, capitale de la Corée du Sud, alliée de Washington, en une « mer de flammes », il a dit vouloir tirer ses missiles dans les eaux de l’île de Guam. Alors, pourquoi cette île est-elle visée ? Évidemment ce n’est pas un hasard. Guam, territoire non incorporé des États-Unis (comme Porto Rico) de 50 km de longueur où résident 165 000 habitants, est un avant-poste stratégique américain. Historiquement, l’île a été le théâtre de combats lors de la guerre du Pacifique, a été très utile pendant la guerre du Vietnam (base de bombardiers B-52 chargés d’attaquer Hanoï) et elle a repris toute son importance au XXIe siècle pour le Pentagone qui voyait se profiler l’expansion de la Chine.

À l’arrivée du pouvoir de Xi Jinping, George W. Bush a choisi d’y réinstaller les Marines et désormais l’objectif est d’en faire la principale base américaine en Asie-Pacifique à l’horizon 2020. Les États-Unis ont ainsi investi dans un chantier colossal évalué à 8,7 milliards de dollars. L’armée possède directement un tiers du territoire et son importante base militaire accueille actuellement entre 5 000 et 6 000 soldats. On y trouve une base navale et une base aérienne, abritant des bombardiers nucléaires et des avions de chasse, un porte-avions. L’armée américaine y a également déployé le bouclier anti-missile Thaad sachant que le Musudan nord-coréen, missile balistique de moyenne portée et surnommé le « Guam Killer » (qui aurait la capacité à être doté d’une ogive nucléaire), pourrait atteindre les côtes de Guam situées à 3 500 km de la Corée du Nord. Une cible toute trouvée pour Pyongyang, qui persiste à vouloir jeter le trouble, à jouer avec les nerfs des Américains et de l’Onu.

Que veut la Corée du Nord ?

Les invectives successives de la communauté internationale pour stopper l’armement du régime ne semblent pas impressionner Kim Jong-un qui multiplie les provocations imprévisibles et irrationnelles depuis des mois. Il a ainsi annoncé qu’il allait procéder à l’enrichissement de l’uranium et utiliser son plutonium à des fins militaires. Il s’est réjoui publiquement d’avoir procédé à un essai nucléaire souterrain, d’avoir testé ses missiles. Pourquoi cette obstination ? Les analystes affirment que les programmes nucléaires et de missiles balistiques sont « l’assurance-vie » du régime de Pyongyang. Et que cette politique, alternant détente (accords, négociations) et provocations, lui permet de garantir « son indépendance et la pérennité de son régime ». Pyongyang souhaiterait aussi un dialogue bilatéral avec Washington, ce qui semble aujourd’hui impossible à satisfaire, qui plus est avec… Donald Trump.

Et la Chine ?

La Chine est dans une position délicate. Le pays, principal allié de la Corée du Nord, a finalement voté la dernière résolution de l’Onu et appliquera les sanctions les plus importantes à l’égard de la Corée (Lire ci-dessous). On analyse ici qu’elle choisit de ne pas provoquer la communauté internationale, mais ne peut en même temps laisser tomber son partenaire, qu’elle fait vivre depuis des décennies. Sans compter qu’en pleine expansion dans le Pacifique (progression fulgurante des positions chinoises dans les eaux stratégiques où transite un tiers du commerce mondial, militarisation des îles, immenses sommes d’argent déversées dans la région) elle aurait besoin de la Corée pour faire tampon et maintenir les États-Unis à distance dans la région, avec les Sud-Coréens et les Japonais déjà acquis à la cause des Américains. En clair, Pékin aurait tout intérêt à jouer le chaud et le froid, mais continuerait quand même de penser que les États-Unis seraient plus nuisibles que la Corée du Nord… L’effondrement de Pyongyang signifierait aussi une Corée réunifiée, militarisée et américanisée… à la frontière chinoise.


L’arsenal de la Corée du Nord

Missiles balistiques intercontinentaux : deux essais réussis en juillet. Ces missiles seraient capables d’atteindre 6 000 km, donc l’Alaska. Nucléaire : cinq essais. Pyongyang posséderait 10 à 20 bombes, selon des experts internationaux (60, selon le gouvernement américain). Selon les USA, le pays serait aussi capable de miniaturiser une bombe nucléaire pour l’embarquer sur un missile intercontinental.


Des négociations possibles ?

Pour faire pression, et dans une énième tentative de refréner les ambitions nucléaires de la Corée du Nord après ses deux premiers tirs de missile intercontinental les 4 et 28 juillet dernier, l’Onu s’est fendue, samedi, de nouvelles sanctions, sévères, envers le pays. La résolution 2371, proposée par Washington, applicable depuis mardi, vise à interdire des revenus tirés des exportations coréennes, notamment dans les secteurs du charbon, du fer et de la pêche, et pourrait priver le pays de ressources annuelles estimées à un milliard de dollars. Elle a été votée à l’unanimité, y compris donc, à force de persuasion, par la Russie et la Chine, qui a effectivement annoncé restreindre, elle aussi, ses importations, alors qu’elle est le destinataire de 92 % des exportations nord-coréennes ! Un « message fort » envoyé au régime de Kim Jong-un a estimé l’ambassadrice américaine de l’Onu, Nikki Haley, tandis que son homologue français, Francois Delattre, rappelait l’urgence de « mettre un terme aux programmes nucléaires et balistiques nord-coréens et de ramener Pyongyang à la table des négociations ». Mais sans surprise, la Corée du Nord a condamné cette nouvelle volée de sanctions, déclarant qu’elle ne négocierait pas tant qu’elle serait sous la menace des États-Unis.

C.M