Cantines fermées, aux parents de s’organiser

AFP PHOTO / ROMAIN PERROCHEAU

Au terme d’un énième épisode d’intoxication alimentaire dans une cantine de Nouméa, la mairie a décidé de suspendre les repas dans les 52 écoles de la ville jusqu’à nouvel ordre. Le prestataire Newrest évoque toujours un « acharnement » à son encontre et une décision « politique ». L’association « Une cantine responsable pour nos enfants » va porter plainte contre X pour « blessures involontaires » et organise, ce jeudi, un sit-in à 11 h 30 place des Cocotiers à l’heure du déjeuner pour dénoncer cette situation surréaliste.

Les jours se suivent et se ressemblent désormais dans les cantines de Nouméa. Vendredi dernier, une vingtaine d’enfants ont été pris de vomissements après le repas à l’école Alphonse- Dillenseger d’Auteuil. Cinq enfants ont dû être admis aux urgences. Mardi, c’était au tour des petits de l’école Albert-Perraud de Magenta. 14 enfants sur les 180 déjeunant ce jour-là se sont plaints de douleurs au ventre et neuf d’entre eux ont été pris de vomissements. L’histoire est dantesque : en trois mois, plus de six écoles du Grand Nouméa ont été concernées par ces réactions à la nourriture servie le midi.

Décision radicale…

À la lumière de ce dernier épisode mardi, la Ville de Nouméa a finalement pris la décision de suspendre le service de cantine à compter de ce jeudi, et ce, « tant que les services de santé de la Nouvelle-Calédonie ne garantiront pas la sécurité sanitaire des repas servis », c’est-à-dire le Sivap, le service d’inspection alimentaire en charge de mener les analyses de conformité.

« La Ville de Nouméa ne peut tolérer cette nouvelle mise en danger de la santé des enfants demi- pensionnaires », souligne la collectivité qui prie, dans son communiqué, les parents de bien vouloir « l’excuser de ces désagréments » et de venir récupérer leurs enfants dès la fin des classes en fin de matinée, ajoutant dans un premier temps « qu’aucun enfant ne sera gardé durant la pause de midi ».

Elle est visiblement revenue sur sa décision puisqu’il a été annoncé, en fin de journée, que les parents étaient effectivement invités à venir chercher leurs enfants, mais qu’une garde serait assurée par le personnel de la ville avec collation froide pour ceux dont les parents n’ont pas de solutions alternatives (lire encadré « dernière minute »).

Si les parents d’élèves ont salué le refus de toute prise de risque pour les enfants, ils ont néanmoins été placés dans cette affaire au pied du mur. Au cœur des interrogations également, le remboursement des repas, la situation des cantinières…

Aberrations

L’association « Une cantine responsable pour nos enfants », impliquée depuis le début de cette série malheureuse, poursuit son combat. En attendant que toute la lumière soit faite sur les intoxications, elle a rencontré mercredi midi l’adjoint au maire, Jean-Pierre Delrieux, pour demander une solution pour les parents. « Si nous saluons la décision de la mairie comme une mesure conservatoire, elle n’est pas satisfaisante pour les parents qui vont avoir de grosses difficultés à s’organiser ».

Face à eux, la mairie a une nouvelle fois refusé tout net le système de lunch box, « ingérable au niveau sanitaire » pour la conservation des aliments et qui constituerait de plus, selon elle, une « rupture d’égalité » entre les enfants, les 2 200 boursiers de la ville risquant de rester sans manger.

L’association a proposé que les réfectoires soient mis à disposition et que la garde des enfants soit assurée par les APE. Cette idée, qui impliquait que la mairie soit déchargée de ses responsabilités, a été étudiée mais toutes les écoles n’ont pas d’APE.

La mairie a finalement concédé à donner des sandwichs. Et elle a assuré que tous les repas non servis seraient remboursés. Elle attend désormais pour rouvrir les cantines le feu vert du Sivap dont les analyses ne lui ont pas été communiquées. La balle est donc dans le camp du gouvernement.

Lettre ouverte

Dans une lettre ouverte aux institutions, l’association « Une cantine responsable pour nos enfants » avait dénoncé, la veille, la « peur » des enfants de se rendre à la cantine, l’absence de communication sur les dysfonctionnements des cantines aux parents, l’existence de trois intoxications alimentaires supplémentaires « passées sous silence » au mois de juillet, l’absence d’un audit sur la gestion des cantines scolaires malgré ces dysfonctionnements et d’une commission consultative des services publics locaux sur les cantines, alors que c’est une « obligation légale », ou encore l’absence d’information sur les qualifications du personnel de cantine ou leurs possibilités de formation.

L’association s’interrogeait plus largement sur le « monopole » de ce marché qui représente plus de 8 000 repas par jour à Nouméa et plus de 15 000 sur le Grand Nouméa ; sur « les logiques industrielles et commerciales ayant pris le pas sur le bien-être des enfants », mais aussi sur le fait que le prestataire scolaire « soit sans cesse pointé du doigt, dédouanant les responsabilités municipales ».

Plaintes contre X

L’association a fait part de sa décision de porter plainte contre X pour « blessures involontaires » en se gardant néanmoins de « désigner un coupable ». La mairie de Nouméa réfléchirait également à une action en justice. Au moins deux parents ont fait de même et plusieurs mains courantes ont été déposées.

Newrest, responsable de la fourniture des repas de cantine avait indiqué la semaine précédente avoir porté plainte contre X pour que « toute la lumière soit faite sur ces évènements ». Dans un nouveau communiqué publié mardi soir, l’entreprise rappelle une nouvelle fois, qu’à date, « tous les éléments de suspicion d’intoxication alimentaire se sont avérés ne pas être de (sa) responsabilité et que l’ensemble des analyses n’ont pas permis d’incriminer définitivement les process de Newrest ».

Elle rappelle avoir récupéré une entreprise à la « situation complexe » lors du rachat à Sodexo, avoir mis en œuvre « un grand plan de rénovation et d’investissement et le financement de l’ensemble des équipements nécessaires à la mise en place d’un processus de liaison froide moderne, en lieu et place d’un processus de liaison chaude archaïque et potentiellement inefficient ».

Elle s’estime victime d’un « acharnement » notamment de l’association « Une cantine responsable pour nos enfants » dont elle dit être « le coupable idéal » et juge que c’est cet acharnement qui a conduit la commune de Nouméa à suspendre ses activités « pour des raisons politiques ».

Newrest évoque enfin des conséquences majeures à cette décision de la mairie sur le plan social puisqu’elle est dans l’obligation de supprimer « un nombre important » de ses effectifs dans les plus brefs délais, sur le plan structurel avec la suspension du plan d’investissement de passage en liaison froide et le gel du plan d’investissement et de rénovation de la cuisine centrale. Enfin sur le plan sociétal, elle souligne que les opérations de « pique- nique » ne sont pas la garantie d’un repas équilibré pour tous les enfants.

Pour conclure, personne ne semble savoir effectivement ce qui cause les intoxications, il sera nécessaire de trouver des réponses, des responsables. N’oublions pas que ce sont avant tout les enfants et leurs familles qui sont en première ligne et en droit de revendiquer un service de qualité. Le problème est, à notre sens, suffisamment inquiétant pour que les autorités remettent le système des cantines totalement à plat.


Désinfection de Newrest

La province Sud, le gouvernement et la mairie de Nouméa ont effectué mercredi un point approfondi sur la question de la sécurité alimentaire.

À titre de précaution, et n’écartant pas l’hypothèse de la présence, dans les locaux de Newrest, d’un germe produisant une toxine provoquant des vomissements, il a été décidé d’imposer à l’entreprise une fermeture et une désinfection complète de ses cuisines, samedi et dimanche, suite auxquelles seront opérés de nouveaux contrôles.

Si les résultats de ces contrôles valident la conformité des locaux ainsi désinfectés, la Ville de Nouméa rouvrira ses cantines jeudi prochain 4 octobre.

Un cabinet spécialisé sera par ailleurs mandaté dans les prochains jours pour réaliser un audit hygiène et sécurité alimentaire des cuisines et repas servis par Newrest. La mairie de Nouméa invite vivement tous les parents qui le peuvent à venir chercher leurs enfants à la fin des cours du matin jusqu’au 2 octobre.

Le personnel de la ville assurera finalement la garde des demi-pensionnaires dont les parents n’ont pas de solution alternative et leur serviront une collation froide.


Plus de « liaison chaude » à Dumbéa

La mairie de Dumbéa a décidé de maintenir les cantines ouvertes, jugeant, pour sa part, qu’une fermeture serait « très compliquée à gérer pour les parents et sanctionnerait bon nombre d’enfants ». Toutefois, ayant constaté que les incidents concernaient les écoles recevant les plats chauds, servis en « liaison chaude » et non ceux en « liaison froide » réchauffés sur place, la Ville a décidé de supprimer tous les repas livrés en liaison chaude dans les écoles communales à compter de ce jeudi. Cela ne concerne que deux écoles : Alphonse-Dillenseger à Auteuil et Les Myosotis à Koutio. Pour ces deux écoles, des mesures exceptionnelles et transitoires seront mises en place jusqu’à ce que les travaux nécessaires soient réalisés pour permettre la mise en place d’une liaison froide, c’est-à-dire la possibilité de chauffer elles-mêmes les plats. Des travaux qui seront achevés pour la rentrée du mois d’octobre pour Alphonse-Dillenseger et pour la rentrée 2019 pour Les Myosotis.


EPLP mène l’enquête

Ensemble pour la planète s’est également penché sur le problème des intoxications alimentaires. Martine Cornaille a déclaré avoir trouvé des éléments qui incriminent la qualité de certaines viandes hachées bon marché, voire « douteuses », commercialisées en « toute connaissance de cause » par l’Ocef et utilisées par Newrest (tandis que le Sivap « laisse faire ») pour des saucisses ou des steaks hachés alors que ces produits sont normalement destinés aux ragoûts et doivent être bouillis.

Cela aurait été le cas pour l’école Arsapin, début septembre, où l’on avait incriminé la sauce coco. En fait, selon EPLP, « les germes présents dans les saucisses auraient infusé dans la sauce »… La fédération observe que « très souvent, des viandes hachées sont présentes aux menus des intoxications observées en : saucisses, chipolatas, bolognaise… »

En ce qui concerne, les carottes, celles-ci auraient été servies après la date limite de consommation, selon EPLP.

La fédération souligne, par ailleurs, que des participants à la fourniture des repas ne disposeraient pas de « cellules de congélation » pourtant réglementaires, que les productions seraient alors congelées en chambre froide, « donc trop lentement pour éviter les proliférations bactériennes ». Que Newrest ne dispose « ni de plan de maîtrise sanitaire ni d’agrément d’hygiène définitif onze mois après son ouverture ».

EPLP ajoute que la rupture de la chaîne du froid est fréquente aussi dans les écoles le matin lors de la livraison alors que les cantinières peuvent être sollicitées à d’autres tâches.

EPLP exige la publication immédiate de tous les résultats d’analyses actuellement disponibles et estime que des sanctions doivent être prises si les fonctionnaires du Sivap n’ont pas relevé les dysfonctionnements dont ils ont eu connaissance.


Psychodrame

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Si certains enfants s’étaient habitués à privilégier le pain plutôt que les repas le midi, désormais il y a une peur avérée de tomber malade en mangeant à l’école. Les cantiniers et les cantinières ne sont pas exempts de soucis. Ils ont du mal à gérer le fait d’être ceux qui donnent les repas aux enfants…


Thèse de l’empoisonnement

Serait-il possible qu’il y ait malveillance ? La thèse fait sérieusement parler. Selon nos informations, seuls les repas en liaison chaude sont concernés par les problèmes. Les communes ont demandé que les bacs de nourriture arrivent scellés…

C.M.