La concurrence en crise d’autorité

Cela fait presque dix ans que les gouvernements successifs travaillent sur le dossier. La loi du pays instaurant l’Autorité de la concurrence avait suscité bien des débats, mais avait finalement été votée à l’unanimité par le Congrès en avril 2014. Lundi après-midi, les élus du Congrès devaient valider les candidatures des futurs membres de l’Autorité. Une formalité qui a viré à l’affrontement politique et renvoyé l’instauration de l’autorité aux calendes grecques.

Près de cinq ans de travail, plusieurs projets de loi du pays, la modification de la loi organique, mais aussi des manifestations parmi les plus importantes que la Nouvelle-Calédonie ait connues ont conduit à l’adoption, en avril 2014, de la loi du pays instaurant l’Autorité de la concurrence, un organe indépendant ayant pour mission de réguler la concurrence au sein d’une économie qui en manque cruellement à cause de son histoire et de l’étroitesse de son marché. Mais s’il y en a peu, elle est néanmoins possible et souhaitable de façon à rendre les entreprises plus compétitives et, incidemment, à réduire la tension sur les prix, d’où l’inscription de l’Autorité dans la liste de l’agenda économique et fiscal partagé comme un levier de lutte contre la vie chère.
L’Autorité de la concurrence a vocation à servir de régulateur au travers d’outils mis à sa disposition par le législateur. C’est là que les choses se corsent. Largement porté par Calédonie ensemble, le projet était dénoncé par les Républicains avant la rupture des élections législatives, en raison du pouvoir important donné à cette autorité indépendante. Outre son rôle d’instruction des dossiers sur des pratiques anticoncurrentielles ou de conseil dans le cas d’ouverture ou d’agrandissement de surfaces commerciales, l’Autorité dispose d’une arme puissante qui lui permet d’exercer un contrôle sur les prix, voire d’ordonner la cessation d’actifs de groupes pour réduire la concentration dans certains secteurs. Et ce pouvoir, elle peut l’exercer avant même que la preuve d’une pratique illégale ne soit constituée, ce qui fait tiquer certains groupes politiques du boulevard Vauban.
La volonté d’entente et de dialogue voulue par le président du Congrès le jour de son élection aura été de courte durée.

Un renvoi à… plus tard
La présentation des candidats aux élus du Congrès qui s’annonçait comme une simple formalité a nalement tourné à l’a rontement politique. Sur la forme tout d’abord, alors que la séance prévoyait un vote à main levée, Thierry Santa, le président de l’assemblée, a finalement décidé, avec l’assentiment des groupes politiques, d’un vote à huis clos. Du point de vue de la transparence pour la création d’un tel outil, on repassera. D’autant qu’une fois le huis clos terminé, le secret n’a été que de courte durée. Pour Harold Martin, ce n’est pas tout de voter, encore faut-il assumer ses positions. Le groupe des Républicains calédoniens affiche son abstention, arguant qu’il est fondamental de revoir la loi anti-concentration dont les seuils inadaptés à l’économie calédonienne risquent plus de la déstabiliser que de la stimuler.
Si ce vote ne surprend pas tellement Philippe Michel, le président du groupe représentant le reste des partis loyalistes, il s’étrangle presque du manque de responsabilité des indépendantistes. « C’est un règlement de compte postélectoral, déplore le président de la province Sud. Ils ne se rendent pas compte du niveau exceptionnel des candidats. L’un est membre du Conseil d’Etat, une autre est administratrice à l’Assemblée nationale et une autre a travaillé pendant des années à l’Autorité de la concurrence. »
Si les élus indépendantistes ont voté contre les cinq candidatures proposées, ils ont toutefois demandé un complément d’information. En cause, le CV du candidat à la présidence. L’homme, actuellement maître des requêtes au Conseil d’Etat, a été directeur juridique adjoint du groupe Engie, de 2014 à 2016. Or le groupe a d’importantes activités en Calédonie, dans l’eau, l’électricité ou encore les services. Engie, qui est notamment la maison-mère d’EEC et de la Calédonienne des eaux, affiche un chiffre d’affaires annuel de 10 milliards de francs et
emploie quelque 700 collaborateurs. Il pourrait donc y avoir des risques de conflit d’intérêts. Si Philippe Michel estime que le président aurait pu se retirer en cas de dossier concernant Engie, son avis n’a pas été partagé par les élus des autres groupes. Roch Wamytan a par ailleurs demandé à ce qu’un bilan de la loi anti-trust soit présenté avant de pouvoir prendre une décision.
À moins que le complément d’information ne satisfasse les élus des groupes Uni-Palika et UC-FLNKS, cet épisode risque donc bien de renvoyer la mise en œuvre effective de l’Autorité de la concurrence aux calendes grecques. De quelques mois à jamais, il est encore difficile de le dire. L’intersyndicale appréciera. Sur le plan politique, ce désaveu pour Calédonie ensemble n’est pas de bon augure pour la fin de la mandature. Le fait qu’il n’y ait plus de majorité constituée au Congrès pourrait bien se traduire par un immobilisme complet des institutions d’ici 2018.