Annick Girardin appréciée des Calédoniens, mais bizutée par l’ancien garde des Sceaux de Valls

Outre sa prolongation de 24 heures, la visite d’Annick Girardin n’a eu ni plus ni moins d’impact que toute autre visite d’une ministre des Outre- mer aux poches vides. Elle a fait le job, comme on dit, et s’est faite apprécier : ce n’est pas rien. Chose curieuse, mais vraisemblablement orchestrée, c’est l’ancien garde des Sceaux, Jean- Jacques Urvoas, qui a pimenté le séjour de la ministre depuis Paris en affirmant que la Calédonie n’avait que deux portes de sortie à l’Accord : l’indépendance-association ou la fédération. Du poil à gratter au bas mot…

Opération séduction. – « Elle est sympa, accessible : c’est une ministre normale ! (Tiens, on pensait le qualificatif hollandien oublié…) Elle parle facilement, ne se la pète pas et écoute ce qu’on lui dit… » : voilà, sans fioritures, les avis des Calédoniens qui ont croisé la ministre samedi, au marché municipal de Nouméa. Sans protocole, haut-commissaire en grand blanc, ni forces de sécurité visibles, d’ailleurs. Une opération séduction réussie qui méritait bien 24 heures de retard rue Oudinot : Emmanuel Macron comprendra.

En attendant Philippe… – Au terme de son déplacement de six jours, on retiendra que chacune de ses haltes ou visite a été ponctuée d’un « Je suis venue écouter, entendre et sentir le climat de la Nouvelle-Calédonie ». C’est tout. Pas de salive usée à dire, constater, estimer, dire ou répondre : Annick Girardin en référera d’abord à Matignon. Le Premier ministre, Édouard Philippe, dont la venue a été moult fois confirmée « avant le 10 décembre », répondra aux questions, s’il a les réponses. S’exprimera, s’il y a lieu.

Ministre en mode doux. – En clair, les élus calédoniens, qui craignaient un dérapage de la ministre comme on en a connu une tripotée plus douze au palais Bourbon pendant sa visite, poussent un ouf de soulagement. Elle n’a pas répété que la France serait aux côtés de la Nouvelle-Calédonie « peu importe le résultat du référendum ». C’est bien ! La ministre ultramarine s’est surtout remémorée les premiers airs de kaneka, joués par « les étudiants kanak, croisés sur les campus ou dans les MJC » de sa jeunesse mitterrandienne. Pour le reste, c’est blabla et nada. Personne n’attendait plus !

La torpille d’Urvoas. – Sauf Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice de Valls et grand connaisseur autoproclamé et réel du dossier calédonien. L’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est désormais hors champ électif : emporté par l’hécatombe socialiste des législatives. Mais pas hors champ politique. Profitant, comme par hasard, du séjour d’Annick Girardin en Calédonie, il a choisi de médiatiser une « note de réflexion » sur l’avenir du territoire et ses options de sorties de l’Accord de Nouméa.

On oublie l’option française ! – Sans tortiller, il annonce que les Calédoniens auraient le choix entre deux options : l’indépendance-association ou devenir un État fédéré. Pour asseoir sa dialectique, Jean- Jacques Urvoas dit encore s’inspirer de la pensée de Michel Rocard, qui ne le contredira plus. Mais l’ancien Premier ministre, signataire des accords de Matignon avec Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, prévoyait aussi l’option d’une Nouvelle-Calédonie, choisissant de rester dans la France et la République ! Sinon, il n’y aurait pas de référendum. Où est-elle aujourd’hui cette possibilité ? Perdue, oubliée ? Ou gommée : ce qui expliquerait que l’on n’ait pas entendu la ministre parler de la Calédonie dans la République ou dans la France, y compris devant le drapeau tricolore que lui présentaient les ancien combattants, place Bir Hakeim…

Complicité de timing ? – La ministre des Outre-mer a paru gênée par la franchise de Jean-Jacques Urvoas : pouvait-elle la découvrir en même temps que les Calédoniens ? Même si l’amateurisme est encore en marche dans la République de Macron, c’est peu crédible ! Complicité du timing de l’effet d’annonce alors ? C’est plus vraisemblable, bien qu’Annick Girardin ait d’emblée insisté : « Urvoas n’est plus ministre et n’est plus parlementaire. » Pour aussitôt rajouter : « Mais tous les avis sont bons à prendre… ».

« Priver les Calédoniens d’un référendum ! » – Sentant bien l’enjeu et la finasserie socialiste, Les Républicains calédoniens ont tout de suite répliqué : « Ce que propose M. Urvoas consiste surtout à priver les Calédoniens du référendum et à faire de la Nouvelle-Calédonie un État avec une Constitution quelle que soit celle des deux solutions qui serait choisie ». Et d’expliquer : « Personne n’ayant en Métropole l’intention de faire évoluer la France vers un vrai statut d’État fédéral, applicable à toutes les régions de France, ce que propose l’ancien garde des Sceaux, c’est bel et bien une solution de type État associé, mais avec un nom différent ».

Aller au bout de l’Accord de Nouméa.– Pour le groupe que préside Sonia Backes au Congrès, les options Urvoas conduiraient la Calédonie « à un statut d’État irréversible en échange d’une relation fragile et instable avec la République française ». Aussi, Les Républicains calédoniens « réaffirment qu’ils sont opposés à toute évolution vers un statut d’État, doté d’une Constitution, qui est synonyme d’indépendance et de sortie de la République. Les Républicains calédoniens réaffirment qu’ils demandent à l’État d’appliquer fidèlement et loyalement l’Accord de Nouméa, tel qu’il a été validé par les Calédoniens eux-mêmes en maintenant au référendum la question claire et simple d’accession à l’indépendance ou de maintien dans la République ». Fin de non-recevoir. Que personne sur l’échiquier politique local n’a contesté d’ailleurs : qu’ils s’agissent des non-indépendantistes ou des partisans de l’indépendance.

Épilogue ? – Bref, en Calédonie, on n’aime pas les prises d’otages : fussent-elles politiques ! En définitive, les déclarations de Jean-Jacques Urvoas auront plus pollué la visite de la ministre, que les fuites d’hydrocarbures du Kea Trader, qu’elle a survolé.

M.Sp.

©T.Rouby