30 ans après, les mêmes blocs

Residents of the New Caledonia’s capital, Noumea, casting their votes in a voting booth of a polling station as part of the New Caledonia’s independence referendum, Sunday, Nov. 4, 2018. New Caledonia, a bit of France in the South Pacific, prepares for an independence referendum, the last step in a three-decade-long decolonization effort. (AP Photo/Mathurin Derel)

Succès démocratique indéniable, promesse tenue des accords, le référendum d’autodétermination a permis d’évaluer clairement le positionnement des Calédoniens. Mais il ne règle rien : trente ans après, les grands équilibres demeurent. Les concessions, les avancées n’auront pas permis de faire taire les antagonismes, d’initier une vision commune. Politiquement, les clivages sortent renforcés. La seule solution sera encore visiblement d’inventer.

« Digérer ». C’est un peu le terme du moment dans le camp loyaliste. Une fois passés le contentement du bon déroulement du scrutin, de la forte mobilisation (80,6 %) et la nette victoire du « non » à 56,7 %, le sentiment de surprise a rapidement prévalu. Finalement, en effet, il s’est avéré que les Calédoniens ont été trompés par les différents sondages publiés cette année et repris par certains élus. Ils tablaient généralement sur un ratio de 70/30 en faveur du « non ».

Alors dimanche soir, forcément, avec 43,3 % des suffrages exprimés en faveur du « oui », il y avait paradoxalement un air de fête chez les vaincus et des mines plutôt graves chez les vainqueurs. Un « non massif » aurait certainement engendré une humiliation porteuse de tensions, mais il aurait néanmoins fragilisé la perspective des deux autres référendums en 2020 et 2022. On aurait alors pu imaginer discuter toute de suite de la sortie de la période des accords sans attendre quatre ans. Mais l’arithmétique électorale semble plutôt renforcer cette perspective et donne de toute façon davantage de poids aux indépendantistes à la table des négociations.

Réactions immédiates

À chaud, avec 18 000 voix d’écart, les Républicains calédoniens ont tenu à insister sur la « victoire sans appel » en faveur de la France, un choix devant désormais être « respecté », « tournant la page de la colonisation ». Même tonalité du côté du Rassemblement où l’on s’est satisfait de cette victoire obtenue « contre tous les obstacles », notamment celui du corps électoral restreint. À Calédonie ensemble, on a noté que les équilibres étaient peu ou prou les mêmes qu’il y a vingt ou trente ans, qu’il n’y avait pas d’échec, que le « crash test » avait été réussi. Côté indépendantiste, on s’est d’abord réjoui de voir que la campagne – unitaire – avait payé et d’avoir été capable de prouver que la cause n’était pas en régression.

Dans la soirée également, Emmanuel Macron s’est exprimé. Le président de la République n’est pas non plus rentré dans les détails. Il a salué une campagne respectueuse, une promesse tenue. Évoquant tout de même la « fierté » que les Calédoniens aient marqué en majorité leur confiance envers la République française, il a les a invités à se tourner vers l’avenir. « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue », a-t-il conclu.

Les référendums

Passées ces premières réactions, lundi, l’arrivée – peut-être trop hâtive – du Premier ministre a rapidement projeté chacun sur l’avenir justement. Édouard Philippe a reçu les sages, les parlementaires, les membres du Cese et les représentants de l’ensemble des partis politiques, à Nouméa et Koné où Paul Néaoutyine et Daniel Goa ont eu l’honneur de le voir se déplacer.

Le Premier ministre est venu « écouter » ce que les acteurs retenaient du scrutin. Si tous ont souhaité pouvoir analyser les résultats en profondeur, les discussions se sont néanmoins immédiatement focalisées sur la « deuxième mi-temps et les prolongations », c’est-à-dire l’éventualité des prochains référendums réclamés maintenant haut et fort par les indépendantistes, « reboostés » par la forte mobilisation de leur camp.

Les loyalistes, qui avaient imaginé un essoufflement de leur cause, espéraient pouvoir passer outre ces rendez-vous prévus par l’Accord de Nouméa. Ils l’espèrent encore, mais ils sortent plus fragiles du référendum, même si confortés. Ils sont globalement conscients qu’il va effectivement falloir dialoguer ou négocier. Le simple fait de « purger » la question de l’indépendance semble irréaliste.

Édouard Philippe leur a donné rendez-vous pour un Comité des signataires mi-décembre où il s’agira de « tirer collectivement les premières conclusions de ce référendum ». Tous les partis, d’ici là, auront réunis leurs bases.

Enseignements

Les prochaines semaines vont donc servir à « digérer » les résultats. Mais dores et déjà plusieurs enseignements émergent au terme de cette consultation. On peut d’abord noter que les Calédoniens peuvent se mobiliser quand ils se sentent concernés. Les partis ont bien du mal à atteindre ces scores et il faudrait peut-être réfléchir à la défiance qui existe envers nos représentants et aux véritables réponses qu’ils n’apportent peut- être pas aux populations.

Ensuite, on peut constater que la fierté nationaliste a emporté toutes les questions de programme côté indépendantiste et leurs manquements également. La campagne a été bien menée, de manière unitaire (contrairement aux loyalistes qui n’ont pas tenu un seul meeting commun) et l’ambiguïté de jouer sur une possible victoire a porté ses fruits.

Et puis c’est le principal enseignement de ce scrutin : la société calédonienne est toujours aussi clivée politiquement, géographiquement, ethniquement. Les différents accords ont ramené la paix, créé un statut unique, un pouvoir politique original, une autonomie élargie, un rééquilibrage probant. Mais aujourd’hui, force est de constater que le camp de l’indépendance n’a pas reculé, que les antagonismes n’ont pas varié voire se sont renforcés. Et dans ces antagonismes, il y a dans les grandes lignes, les Kanak d’un côté et les autres de l’autre.

Les moyens ont été mis pour réduire les inégalités et espérer construire le fameux destin commun. Mais cela n’a pas suffi. Au fond, les Calédoniens n’aspirent pas à la même chose. Désormais, on nous parle des deuxième et troisième référendum. Il y a des chances que nous y allions. Mais dans une si proche échéance, ils ne devraient pas donner d’autre conclusion. Il faudra donc, quoi qu’il en soit, inventer autre chose.

Il sera aussi indispensable dans ce laps de temps de s’intéresser aux questions économiques et sociales, souvent placées au second plan des échanges, mais qui minent la société calédonienne. Le Premier ministre a insisté sur le fait qu’elles ne devaient plus être éludées.


Des visions inconciliables ?

Roch Wamytan
« Nous ne sommes pas au crépuscule de notre revendication. »

« Malgré le chant des corbeaux qu’on a entendu pendant des mois et des mois […], le projet porté par le FLNKS devient possible et c’est tant mieux pour la Nouvelle-Calédonie. Contrairement à ce que certains ont dit, nous ne sommes pas au crépuscule de notre revendication. Au contraire, les gens nous ont fait confiance et donc notre projet politique devient de plus en plus crédible et nous allons l’affiner, l’expliquer de façon à ce que le futur peuple calédonien émerge enfin ! Parce que ça fait trente ans qu’on est là-dessus ! Il y a un point de départ A et un point d’arrivée Z. Et nous ne sommes pas encore arrivés au Z. Avant d’arriver au Z, il y a deux référendums. On doit aller jusqu’au bout. L’État est signataire de l’Accord et assumera sa responsabilité. Donc nous, nous sommes sereins. »

Louis Mapou
« L’indépendance sera encore plus belle en 2020. »

« Nous venons de vérifier avec ce référendum que la question de l’indépendance est l’option qui continue de progresser au sein de la population et il nous semble donc aujourd’hui difficile de discuter de la suite sans intégrer cette nouvelle donne politique. On est engagé sur 2020 et l’attitude du mouvement indépendantiste à partir d’aujourd’hui sera étroitement attachée à ce travail que nous allons faire pour continuer à sensibiliser la population sur la nécessité de franchir une autre étape de son histoire qui, pour nous, est la seule perspective raisonnable si on veut définitivement asseoir une stabilité dans le pays. Nous avons atteint nos objectifs partout sauf dans les îles. Il va donc falloir convaincre plus largement. Au sein des autres communautés également. L’indépendance sera encore plus belle en 2020.

Durant les 20 dernières années, le mouvement indépendantiste a fait preuve de beaucoup d’abnégation et d’efforts pour tenir le processus qu’on avait pensé en 98. Le résultat est pas mal, comme le montre le bilan des accords. Simplement aujourd’hui, il faut lever le couvercle et redéfinir complètement les relations avec la Métropole. On avait proposé de discuter d’un statut de souveraineté de partenariat avec la France et on s’est aperçu, pendant la campagne, que c’est une idée qui fait son chemin. Donc si on doit discuter de quelque chose ce sera de la souveraineté et de ce type de relation. Il n’y en aura pas d’autre. »

Philippe Gomès
« Il faut construire une nouvelle organisation politique. »

« Nous avons défendu un non respectueux du oui. Le résultat est ce qu’il est et on ne va pas changer notre manière de faire. On considère que la Nouvelle-Calédonie ne peut se construire que si on respecte la conviction de l’autre. Les indépendantistes doivent être probablement motivés pour le deuxième référendum avec cette défaite honorable. Cela étant, il y a tout de même 18 000 voix d’écart, donc un deuxième référendum en 2020, ce ne sera pas la multiplication des pains. Je pense qu’on doit réfléchir ensemble pour voir si on peut éviter de s’infliger cela.

Les indépendantistes sont des Calédoniens comme les autres : ils veulent aussi que le territoire se développe économiquement, que les entreprises investissent. Donc je les inciterai à ce qu’on puisse entrer dans une négociation qui nous permette de construire une nouvelle organisation politique qui se substitue à celle de l’Accord de Nouméa, qui soit constitutionnalisée aussi et dans laquelle le droit à l’autodétermination continuera à s’exercer, mais pas dans les conditions prévues actuellement par l’Accord qui sont des conditions extrêmement contraintes. Avec un deuxième référendum en 2020, un troisième en 2022,onnevafairequeça.Etilyadesdéfisà relever dans notre pays, sociaux, économiques, éducatifs et je crois qu’on a besoin de toutes les énergies qu’elles soient indépendantistes ou non indépendantistes pour les relever. »

Pierre Frogier
« L’indépendance est purgée. »

« Pendant plusieurs années, je me suis engagé pour que l’on arrive à construire un nouvel accord, avant l’échéance référendaire. Ça n’a pas été possible. Et aujourd’hui, c’est d’une incohérence totale. Ce que je craignais apparaît : le référendum n’a rien résolu si ce n’est que la Nouvelle- Calédonie est maintenant ancrée dans la France. Le message de la majorité des Calédoniens c’est « inscrivez notre avenir dans la République française ». L’indépendance est purgée. Les indépendantistes nous ont aidé à purger l’indépendance. Maintenant nous allons faire ce pourquoi nous sommes là et je poursuivrai l’engagement que j’ai pris devant les Calédoniens. Il n’y aura pas de négociation, de concessions. Nous ferons tout pour éviter un deuxième et un troisième référendum parce que la société ne pourra pas s’offrir un pareil débat dans deux et quatre ans. »

Sonia Backes
« Être le plus fort possible. »

« C’est une victoire sans appel pour la France. Maintenant les indépendantistes réaffirment fortement leur volonté d’organiser un deuxième et un troisième référendum, donc de déstabiliser la Nouvelle-Calédonie dans les quatre prochaines années. L’Accord de Nouméa le prévoit, mais évidemment le résultat est tel que le oui ne l’emportera ni dans deux ans ni dans quatre ans. Donc personne n’a intérêt à déstabiliser la Nouvelle-Calédonie sur le plan politique et sur le plan économique parce que ça va avoir des conséquences sociales importantes. On a intérêt à ne pas attendre quatre ans pour discuter, mais à discuter dès maintenant pour essayer de stabiliser la Nouvelle-Calédonie. Nous allons lancer un appel à l’union des loyalistes compte tenu du résultat, un appel à tous ceux qui veulent que la Nouvelle-Calédonie reste dans la République avec la nécessité d’un renouvellement générationnel des loyalistes. Il s’agira de continuer le dialogue en étant le plus fort possible avec tous ceux qui veulent réellement que l’on puisse avoir des discussions fermes et qu’on arrête les errements qu’on a eus ces dernières années et qui ont amené malheureusement à ce que le camp indépendantiste ne recule pas. »

C.M.

Photos C.M./DNC- MD/DNC