Violences faites aux femmes : une nécessaire prise de conscience

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le gouvernement organise un grand raout instructif et festif jeudi et vendredi à Lifou. À Nouméa, une manifestation visera à faire réagir ces mêmes autorités sur les failles en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Avec au moins 19 % de femmes violentées et 7,2 % agressées sexuellement par leur conjoint, 9 % victimes de viol ou tentatives de viol, 12 % des jeunes filles de moins de quinze ans victimes d’attouchements sexuels, tentatives de viol ou viol, mais aussi une sous-représentation à tous les niveaux décisionnels, la Nouvelle-Calédonie part de loin en matière de respect et d’égalité des sexes.

Un nouveau drame, apparu dans la sphère familiale, est encore venu nous rappeler cette triste réalité. Dans la nuit du 11 au 12 février, Maureen, 29 ans, est décédée à Houaïlou sous les coups de son ami, déjà condamné par le tribunal correctionnel pour des faits de violence conjugale. L’enquête, confiée à la section de recherches de Nouméa, a confirmé que la victime avait été rouée de coups portés avec une « extrême violence ». Avant que son assassin ne soit interpellé lundi, deux cents habitants de la commune sont sortis dans la rue pour manifester leur colère contre ces violences insupportables.

La colère « gronde »

Vendredi matin, Journée internationale des droits des femmes, le collectif Femmes en colère sera à son tour dans la rue, cette fois devant le Congrès, entre 10 et 11 h. Ses représentantes veulent dire haut et fort que « la femme calédonienne est en grand danger » et s’insurger contre le manque d’actes concrets pour la défendre.

« Nous dénonçons la connivence entre les systèmes traditionnel et moderne qui maintiennent tous les deux la domination des hommes au mépris du genre féminin, une conjonction qui conforte la tyrannie qu’exercent nombre d’hommes à l’encontre des femmes de toutes origines culturelles et sociales ». Le collectif continue de demander un débat au Congrès sur le sujet, un « plan pays » pour les femmes et des solutions d’urgence en matière de sécurité. « Où sont- ils quand les femmes crient leurs souffrances ? », s’interrogent les responsables. Aux dernières nouvelles, une autre manifestation spontanée était prévue samedi devant le gouvernement. Elle prendra la forme d’une marche blanche.

Ce contexte de violence a de nouveau été pointé du doigt par le procureur de la République à l’occasion de la rentrée judiciaire. Les signalements de violences physiques sur les femmes ou les enfants, le plus souvent commises dans le cadre intrafamilial, sont en progression. Cela peut indiquer que les femmes portent davantage plainte. Mais cela prouve surtout qu’elles demeurent des cibles privilégiées des hommes et d’une violence ahurissante.

Réflexions et célébrations à Lifou

Cette situation est évidemment prise en compte par les autorités locales qui auront, comme tous les ans, le temps de la réflexion deux jours durant à Lifou. Le secteur de la condition féminine du gouvernement organise à la tribu de Hunöj la 14e Journée internationale de la femme sur ce thème « Femmes du pays : force de progrès – Agissons ! ».

L’exécutif consacre 11 millions de francs à ces journées, soutenues également par la province des Îles et la commune de Lifou en matière logistique. 500 personnes sont attendues, dont 200 prises en charge par le gouvernement. Ce sont principalement des personnes « ressources » (coutumiers, syndicats, représentants consulaires, de l’Église, élus, associations) et des femmes engagées au niveau associatif ou professionnel qui seront « chargées de relayer les informations collectées, un peu partout sur le territoire ».

Outre un côté festif qui doit « permettre de célébrer les avancées en matière de droit des femmes dans le monde entier », des ateliers de réflexion sont prévus. L’accent sera mis cette année sur les femmes et le droit coutumier. Il s’agira de faire connaître les lois et mesures en vigueur pour les femmes de statut coutumier, des lois qui sont souvent mal connues ou méconnues. On y parlera, avec la Direction des affaires coutumières, des juristes et des officiers publics coutumiers, de la loi de dévolution successorale, de la garde des enfants en cas de dissolution du mariage ou encore des pensions alimentaires…

Le second atelier traitera de la place des femmes dans la vie publique et politique. Il s’agira de voir « comment la faire évoluer en faveur d’une plus grande implication des femmes selon le principe d’égalité hommes-femmes ». Les responsables du gouvernement entendent notamment réclamer une place pour les femmes dans les institutions coutumières et une plus grande représentation au Conseil économique social et environnemental. Deux autres ateliers s’intéresseront à la santé et au bien-être des femmes et à l’économie solidaire.

Selon Rolande Trolue, en charge de la condition féminine au gouvernement, l’idée sur toutes ces questions est de « chercher de manière collective à lever les obstacles (…), progresser de manière concrète pour arriver à des propositions à mettre en œuvre dès 2019 ».

Pas de nouvelles de l’enquête Virage

Il semble que le mot d’ordre de cet évènement soit la responsabilisation des femmes à tous les niveaux. Nombreuses sont celles qui œuvrent déjà toute l’année pour améliorer la condition des femmes avec des succès certains en matière d’écoute et d’accueil des victimes, par exemple, ou encore d’émancipation avec la création d’entreprises. Elles seront mises à l’honneur à Lifou et c’est tant mieux. On peut simplement regretter que la responsabilisation en Nouvelle-Calédonie ne soit pas générale, que l’action soit encore mal coordonnée et qu’il faille souvent attendre trop de temps pour concrétiser des projets qui devraient être prioritaires.

Un exemple révélateur : la Nouvelle-Calédonie travaille avec des chiffres sur les violences faites aux femmes vieux de 16 ans (2003). L’extension de la fameuse étude Virage, menée en Métropole sur les violences intrafamiliales, figurait en 2017 dans le discours de politique générale du président Germain. C’était une des 139 actions du plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance, adopté en 2018.

Cette enquête devait enfin permettre de connaître de façon exacte l’ampleur et les caractéristiques des violences intrafamiliales affectant notre société. Ça devait être une base pour la mise en place des politiques publiques sur le sujet. Mais force est de constater que rien n’a été lancé.

Une convention avait pourtant été signée entre l’État, le gouvernement de la Nouvelle- Calédonie et l’Ined, l’Institut national d’études démographiques. Puis finalement, selon nos informations, l’Isee, Institut de la statistique et des études économiques, devait recevoir des fonds pour cette mission. Mais l’Institut n’a pas été provisionné et a maintenant un planning chargé pour l’année, ainsi que le recensement l’année prochaine… Sans s’étendre sur le sujet, Rolande Trolue au gouvernement nous a simplement répondu que le projet suivait son cours…

C.M.