15 000 scientifiques, n’est-ce pas suffisant ?

Historique. En pleine COP23, une lettre ouverte signée par 15 000 scientifiques de 184 pays met en garde l’humanité sur la situation de notre planète.

Spécialistes du climat, des océans, des animaux, mais aussi chimistes, physiciens ou biologistes… jamais les scientifiques n’avaient été aussi unis et nombreux pour témoigner de leur inquiétude sur la situation de notre planète. Après une première lettre publiée à l’issue du Sommet de la Terre à Rio en 1992 par 1 700 signataires indépendants, cette seconde missive intitulée « Mise en garde des scientifiques à l’humanité : deuxième avertissement » est signée par 15 000 spécialistes dont 1 000 Français.  25 ans après la première tribune qui exhortait l’humanité à freiner la destruction de l’environnement, ils ont estimé qu’il « était temps de se remémorer leur mise en garde et d’évaluer les réponses que l’humanité lui a apportées ».

Refus de changer

En 25 ans, justement, le constat n’est pas glorieux : hormis la stabilisation de l’amenuisement de la couche d’ozone stratosphérique, les scientifiques estiment que « l’humanité a échoué à accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis environnementaux annoncés » et pire, ils s’inquiètent de voir que « la plupart d’entre eux se sont considérablement aggravés ». Particulièrement troublante, disent-ils, « la trajectoire d’un changement climatique potentiellement catastrophique » dû à l’augmentation du volume de GES (gaz à effet de serre) dégagés par le brûlage de combustibles fossiles, la déforestation et la production agricole. Ils évoquent également « un phénomène d’extinction de masse, le sixième en 540 millions d’années environ », au terme duquel « de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement ou, en tout cas, se trouver au bord de l’extinction d’ici la fin du siècle ».

Les mots des chercheurs sont cinglants : nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre « consommation matérielle intense » et « inégale », en refusant de prendre conscience du risque que représente « la croissance démographique rapide et continue », en échouant à limiter cette croissance, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la « défaunation » et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes.

Capables

Pour cela, les signataires lancent un appel aux scientifiques du monde entier, aux personnalités médiatiques et aux citoyens ordinaires à exiger des gouvernements qu’ils prennent des mesures immédiates. Il s’agit là, estiment-ils, d’un « impératif moral vis-à-vis des générations actuelles et futures des êtres humains et des autres formes de vie ». Et ils ajoutent qu’il est également temps de « réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources ».

Dans le détail, les scientifiques évoquent treize mesures que l’humanité devrait prendre :

  • mettre en place des réserves connectées entre elles, destinées à protéger les divers habitats terrestres, aériens et aquatiques,
  • stopper la conversion des forêts, prairies et autres habitats originels,
  • restaurer sur une grande échelle les communautés de plantes endémiques et réensauvager des régions abritant des espèces endémiques (en particulier des superprédateurs),
  • adopter les instruments politiques pour lutter contre la défaunation, le braconnage, l’exploitation et le trafic des espèces menacées,
  • réduire le gaspillage alimentaire,
  • se réorienter vers une nourriture d’origine essentiellement végétale,
  • réduire encore le taux de fécondité,
  • sensibiliser les enfants à la nature, et d’une manière générale, améliorer l’appréciation de la nature dans toute la société,
  • cesser certains achats,
  • concevoir et promouvoir de nouvelles technologies vertes, se tourner massivement vers les sources d’énergies vertes et réduire progressivement les aides aux productions d’énergies utilisant des combustibles fossiles,
  • revoir notre économie afin de réduire les inégalités de richesse et faire en sorte que les prix, les taxes et les dispositifs incitatifs prennent en compte le coût réel de nos schémas de consommation pour notre environnement,
  • enfin, déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable et atteindre cet « objectif vital ».

Les scientifiques rappellent que « nous sommes capables d’opérer des changements positifs quand nous agissons avec détermination ». Pour preuve, selon eux, la baisse rapide des substances destructrices de la couche d’ozone, les progrès accomplis dans la lutte contre la famine, la baisse rapide du taux de fécondité dans de nombreuses zones, le déclin prometteur de la déforestation. Mais ils insistent : « Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, car le temps presse. Nous devons prendre conscience, aussi bien dans nos vies quotidiennes que dans nos institutions gouvernementales, que la Terre, avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer. » Tout y est. Et il sera difficile désormais d’avancer que 15 000 scientifiques se trompent.

C.M.